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LETTRES PARISIENNES (1839).

ennuyé. À mon âge, respirer un air pur et regarder un beau paysage, c’est le seul plaisir que l’on demande à la campagne. J’étais chez madame du Treillage, une très-aimable personne que je connais depuis longtemps, et chez laquelle je suis traité tout à fait en ami de la maison, un peu trop même, et j’aurais le droit de m’en plaindre, ajouta le malin vieillard, car il est de certaines attentions que madame du Treillage avait pour les gens qui lui rendaient visite et qu’elle supprimait pour moi. Oui, je m’explique : pour tout le monde elle est grasse et bien faite, et pour moi elle osait être maigre à faire peur… Vous riez, mais c’est la vérité. Le matin à déjeuner nous étions seuls ensemble, elle apparaissait en simple peignoir : c’était une ombre, un vrai squelette ; les plis de sa robe tombaient droits jusqu’à terre ; elle me faisait pitié ; et puis tout à coup à dîner (il y avait toujours grand monde à dîner), elle revenait avec la plus jolie taille, ronde, coquette, gracieuse : c’était charmant. Dans cette subite métamorphose, je remarquais des variétés qui m’amusaient beaucoup. La beauté de sa taille augmentait en proportion de l’importance et de la dignité des personnes qu’elle attendait. Elle fait grand cas des titres, vous le savez. Or, pour un comte, elle n’était que potelée et rondelette ; pour un marquis, c’était la Vénus de Milo ; pour un lord, elle se faisait une tournure circassienne ; pour un duc, ses grâces allaient presque jusqu’à l’obésité ; et pour moi, rien… pour moi, qui suis un vieil ami de sa famille, moi qui ai rendu de si grands services à son mari, elle ne faisait pas les moindres frais : c’était humiliant. Je méritais qu’elle eût pour moi plus d’égards et plus… d’embonpoint.

— Que vous êtes tous méchants ! s’écrie la jolie madame H…, et que c’est mal de médire ainsi des châtelains qui vous ont si bien reçus ! Ne vous ont-ils donc invités à venir tout l’été chez eux que pour y étudier plus à votre aise leurs défauts ?

— Oui, sans doute, puisqu’ils ne nous ont pas offert d’autres plaisirs.

— Mais vous-même, madame, n’avez-vous pas découvert quelques petits ridicules chez les Montbert pendant les trois mois que vous êtes restée chez eux ?