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LETTRES PARISIENNES (1840).

même pas se permettre de réfléchir dans la crainte de se retarder. À Londres, il est aussi défendu aux gens qui portent des fardeaux de marcher sur les trottoirs ; ici, l’on s’y promène de toutes les manières, même en fiacre et en cabriolet…

L’agitation de Paris, pendant ces huit premiers jours de l’année, frappe singulièrement les étrangers. Certes, à nous voir ainsi vivants, bruyants, turbulents, on ne croirait point aux sinistres événements dont on nous menace, et rien ne ressemble moins à un peuple chargé de fers et dévoré de misère que ce peuple si actif, si occupé et si chèrement payé de son travail intelligent. « Les ouvriers meurent de faim ! nous crie-t-on sans cesse ; ils n’ont pas d’ouvrage… » Tous les philanthropes révolutionnaires vous disent cela chaque jour, n’est-ce pas ? Et pourtant, si vous commandez une table de chêne à un menuisier, il vous la fait attendre un mois, et au bout de ce temps il vient vous prier de vouloir bien attendre encore, parce qu’il n’a pas d’ouvriers. Si vous voulez faire repeindre vos corniches et poser dans quelque chambre un papier nouveau, on vous enverra un garçon colleur ; il apportera de la colle, des rouleaux de papier ; il déchirera l’ancien papier qui couvrait le mur, il posera une planche sur deux chevalets, et puis il s’en ira. Vous l’enverrez chercher, vous l’attendrez toute la journée, il ne viendra pas. Le lendemain dimanche, il viendra, il collera six feuilles de papier gris, et puis il s’en ira parce que c’est dimanche. Le lundi, il ne viendra pas parce que c’est lundi. Le mardi, il viendra à quatre heures, quand il fera déjà nuit ; et enfin, le mercredi, son maître, pensant qu’il a fini chez vous, viendra le reprendre pour l’envoyer chez une autre personne… Et pour tous les états c’est de même. Les tapissiers sont encore beaucoup plus fantastiques : ils apportent l’échelle, ils l’établissent agréablement au milieu du salon ; ils sèment le parquet de clous, de tenailles, de marteaux, de pinces, de bâtons dorés, de griffes, etc., de choses offensantes et meurtrières… et puis ils s’en vont. L’aspect de ces apprêts terribles vous a fait fuir, vous leur avez laissé le champ libre, vous restez exprès pour cela absent jusqu’au soir, et le soir en rentrant, vous vous heurtez la tête contre leur échelle, hélas ! inutile ; elle n’a