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LETTRES PARISIENNES (1840).

des inondations de diamants ; on voit qu’on a beaucoup parlé de la fin du monde, chacun a hâte de faire valoir tous ses trésors. Vous le voyez, c’est toujours la même devise, trop ou rien ! c’est toujours l’abus d’une idée amenant forcément l’abus de l’idée contraire, c’est enfin l’action extrême ayant pour conséquence naturelle la réaction violente.

On pourrait croire que cet emportement des esprits, qui les entraîne à exagérer tout ce qui les séduit, a pour cause une imagination surabondante, une ardeur sans pareille que rien ne peut apaiser. On se tromperait étrangement. Cette exagération est tout simplement de la misère, comme toutes les exagérations. On n’abuse d’une idée que parce qu’on n’a pas le bon sens d’en tirer parti, ou le génie d’en trouver une autre. Les gens qui peuvent inventer ne savent point exagérer. Mais, en France, il y a une telle soif de produire de l’effet et une telle pauvreté dans les moyens d’en produire, que les moindres idées nouvelles sont livrées au pillage sans retour. La meute des plagiaires affamés se jette dessus et s’en empare comme d’une curée qui lui est promise. Si tel homme est parvenu par tel chemin, vite les intrigants s’y précipitent et l’encombrent de façon qu’on n’y peut plus passer. Si tel auteur s’est fait un nom par tel genre d’ouvrage, au même instant il se publie des milliers d’ouvrages du même genre, et la pensée originale est bientôt déflorée, déconsidérée par l’imitation… C’est l’imitation qui étouffe l’invention. Dans le monde des réalités, les riches, dit-on, vivent aux dépens des pauvres ; dans le monde des idées, au contraire, ce sont les pauvres qui vivent aux dépens des riches et qui les ruinent en les contrefaisant. Les idées volées sont perdues pour les possesseurs et quelquefois pour leurs ravisseurs, car ceux-ci veulent toujours y ajouter quelque chose ; ils les parodient jusqu’à l’excès sous prétexte de les perfectionner, et ils les détruisent en les exagérant. Ce n’est donc, point parce que nous avons trop d’imagination que nous procédons par abus et par excès en toute chose ; c’est au contraire parce que nous n’avons pas assez d’imagination. Alors il ne faut pas trop nous enorgueillir de cette ardeur entraînante qui n’est peut-être qu’un assez pâle défaut, de cette bouillante activité de caractère qui n’est peut-être que de l’indigence d’esprit.