Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 4.djvu/467

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
461
LETTRES PARISIENNES (1840).

sacrifices, quelquefois à vous dépouiller sans mot dire de la seule qualité qui fait votre puissance. Êtes-vous un grand seigneur, il vous fera attendre une heure dans son salon, ou bien il vous assujettit à l’exactitude la plus rigide ; il exigera enfin de vous une condescendance puérile qui vous ôtera de votre dignité. Êtes-vous une femme vaine, riche et avare, il vous forcera à choisir un déguisement d’un prix fou. Êtes-vous un homme grave, un homme d’intelligence, il vous obligera à vous habiller en acrobate et à être niais et ridicule toute une soirée, et nous ajoutons toute la vie ; et cela pour lui n’est pas un badinage, c’est une étude profonde, une suite d’épreuves philosophiques que nous suivons pour notre part avec une grande curiosité. M. Thorn s’est posé ces deux questions : Savoir jusqu’où peuvent aller en France la complaisance des égoïstes et l’humilité des orgueilleux ; — et ce que peuvent faire de flatteries et de platitudes des gens riches qui ne veulent pas donner de fêtes pour être invités chez un homme qui en veut bien donner.

Pour compléter ces expériences, l’ingénieux négociant pourrait risquer de plus grotesques épreuves ! Eh ! mon Dieu, demain il mettrait sur ses billets d’invitation : On n’entrera qu’en bonnet de coton, que toute la haute société parisienne accourrait chez lui en bonnet de coton. Nous savons bien que l’on parviendrait à transiger avec le bonnet de coton. Les uns le feraient broder, les unes le garniraient de dentelle, les autres le couvriraient de fleurs et de diamants. Ceux-ci auraient des mèches d’or, ceux-là des mèches de perles ; mais les vrais flatteurs le porteraient en coton pur, avec la coiffe et la fontange.

Puisque nous sommes en train de faire la guerre à la vanité, nous signalerons un autre genre de bal où c’est le souper qui est une vanité. Nous le disions tout à l’heure, les grands seigneurs font peu de frais ; mais, en revanche, les petits bourgeois veulent avoir l’air d’en faire beaucoup. Le salon est fort étroit, on respecte ses proportions, et pour ne rien perdre de l’espace, on suspend l’orchestre dans le lit de fer de l’alcôve voisine ; les mères parées sont à la torture sur des bancs de collège ; les rafraîchissements sont rares sous un prétexte de souper. À partir de minuit, on ne sert plus rien, toujours sous