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LETTRES PARISIENNES (1840).

Or il y a deux sortes de prestiges : l’un est séduisant, l’autre est séducteur… qu’on nous permette cette subtilité. Il y a par conséquent deux sortes d’amours : l’un descend du ciel, l’autre vient de l’enfer.

Il doit donc y avoir deux catégories de femmes à aimer : les femmes-anges et les femmes-démons ; les vierges voilées, couronnées de lis ; les bacchantes couronnées de pampre ; celles qui chantent doucement en s’accompagnant de la lyre, celles qui dansent follement en agitant le thyrse et le tambour ; celles qu’on aime avec enthousiasme, celles que l’on idolâtre avec ivresse ; les unes sont prestigieuses en bien, les autres sont prestigieuses en mal ; mais toutes sont également idéales, également enveloppées de mystère, également placées sur un autel, également supérieures, également toutes-puissantes, les unes par le respect qu’elles imposent, les autres par la terreur qu’elles inspirent. Car, vous le savez, la peur est un des charmes de l’amour ; et ces deux natures de femmes font naître de délicieuses frayeurs. On tremble auprès de celles-ci ; un mot pourrait effaroucher leur exquise délicatesse, une imprudence peut les faire fuir à jamais, la pensée de leur déplaire cause un charmant effroi. — On tremble auprès de celles-là, on a peur de tout, on a peur de soi, on a peur d’elles ; ces femmes aux passions sans frein, à l’orgueil jaloux, au courroux sauvage, ont pour les cœurs qu’elles entraînent toute la séduction des grands dangers.

Nous ne savons pas s’il existe encore des femmes idéales en mal, mais nous croyons que les femmes idéales en bien n’existent plus. Nous avons maintenant, et cela vaut peut-être mieux pour tout le monde, nous avons les femmes honnêtes, les femmes raisonnables, les femmes laborieuses, les bonnes femmes, les excellentes petites femmes avec lesquelles on cause sans façon, que l’on rencontre avec grand plaisir, dont on accepte la préférence avec orgueil, mais qui ne parlent point à l’imagination et qui n’inspirent point d’amour. Vous avez tant dit : « La femme est la compagne de l’homme, » que les pauvres femmes vous ont pris au mot, elles sont devenues vos compagnes ; elles ont voulu partager votre existence, vos occupations, vos chagrins ! Ô folle pensée ! coupable erreur !