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LETTRES PARISIENNES (1840).

— Non, je n’ai pu avoir de loge.

— Et vous, ma petite ?

— Moi, ce soir-là, ma tante, j’étais à l’Opéra.

— Comment donc savez-vous que cela était si affreux ?

— J’ai lu dans mon journal…

— Ah ! voilà le grand mot ! Les journaux en ont dit du mal ! Et vous les croyez encore sur parole ? On ne vous a point corrigés. Vous ne devinez pas pourquoi un homme qui a fait un livre contre les journalistes est attaqué par tous les journaux ? C’est que, naïfs abonnés, vous ne vous apercevez peut-être pas que les journaux sont faits par des journalistes. Allons, un effort d’intelligence, rapprochez ces deux idées-là, elles vous expliqueront bien des choses, et vous comprendrez enfin maintenant pourquoi tout homme de courage est mis au ban des journaux.

Les puritains littéraires, depuis quelque temps, abusent de l’art, comme les puritains politiques ont naguère abusé de la patrie. C’est au nom de l’art que se disent toutes les injures, que se commettent toutes les injustices, comme naguère c’était au nom de la patrie que se forgeaient toutes les calomnies, que s’accomplissaient toutes les vengeances. Ces deux cultes si beaux se ressemblent parfaitement dans leur exercice : ces grands admirateurs de l’art n’ont jamais rien fait pour lui, ces grands adorateurs de la patrie n’ont jamais rien fait pour elle. Leur amour ne s’exprime que par des proscriptions ; ceux-ci persécutent les artistes, comme ceux-là persécutaient les vrais serviteurs du pays. C’est au nom de l’art qu’un grand poëte est exclu de l’Académie ; c’est au nom de l’art que les tableaux de Cabat et de Gigoux sont refusés par le jury ; c’est au nom de l’art que les feuilletons s’indignent contre les drames modernes, c’est au nom de l’art que l’art véritable est sacrifié. Eh ! vraiment, il vaudrait mieux dire tout de suite que vous ne voulez plus que l’on fasse des pièces de théâtre, puisque vous condamnez d’avance tous les sujets que les auteurs dramatiques peuvent traiter. S’agit-il d’une œuvre d’imagination, vous vous écriez : « Quel imbroglio ! » Est-ce une œuvre de vérité, vous vous écriez : « Quel scandale ! » Grâce à vous, dans l’art moderne on ne peut plus ni inventer