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LETTRES PARISIENNES (1837).

En effet, dans plus d’une occasion elle avait fait preuve de courage : à cheval elle était intrépide ; à la chasse elle ne redoutait ni loup ni sanglier ; elle ne craignait ni la seconde vue, ni la première vue ; elle riait des fantômes, défiait les brigands ; elle n’avait même pas peur des honnêtes gens, ce qui arrive quelquefois à ceux qui craignent les voleurs. Suzanna était donc une valeureuse fille ; elle humiliait ses compagnes par son courage. Celles-ci résolurent un jour de se venger et de mettre une fois à l’épreuve cette force d’âme héroïque. C’était dans un vaste château aux environs d’Édimbourg ; Suzanna devait se marier quelques jours après ; on attendait le lendemain son fiancé, que des affaires retenaient encore à la ville. Les présents de noce étaient arrivés, la parure de la mariée était déjà prête. Le bonheur était imminent, on n’avait pas de temps à perdre pour le prévenir. Les jeunes compagnes s’assemblèrent en secret, et le projet de vengeance fut arrêté. Le frère d’une des jeunes filles était étudiant en médecine ; il possédait un superbe squelette qu’il promit de prêter pour servir à la mystification, et le squelette, recouvert d’un simple vêtement de nuit, fut déposé avec toutes sortes de précautions dans le lit de la future mariée. Le soir on se sépara gaiement ; Good night, Suzanna, good night, my dear, good night, et les moqueuses jeunes filles s’éloignèrent en souriant. Le lendemain, grand conciliabule : — Est-elle descendue ? — L’a-t-on vue ? — Sait-on si elle a eu peur ? — A-t-elle appelé au secours ? — Qu’y a-t-il de nouveau ? — Que fait-elle ? — Et personne ne répondait. — Allons jusqu’à sa porte, nous regarderons par le trou de la serrure. Elle est maligne, Suzanna ; elle ne conviendra pas qu’elle a eu peur, elle nous jouera quelque tour. On s’avance à pas lents, on marche sur la pointe du pied… on s’approche de la porte, une des jeunes filles regarde par la serrure. Suzanna est levée ; elle n’est pas encore habillée, paresseuse ; ses longs cheveux sont en désordre ; mais que fait-elle ? avec qui est-elle là ? elle parle à quelqu’un, à qui donc ?… Ah ! la voilà qui prend son bouquet de mariée, qu’en veut-elle faire ?… Elle tient son voile aussi, et puis elle sort de leur écrin tous ses bijoux ; coquette… Ah ! voyez-vous le squelette ? Elle l’assied sur une