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LETTRES PARISIENNES (1840).

ne se sentent à leur aise qu’avec des gens supérieurs : c’est pourquoi leur loge d’actrice au théâtre est un salon de bonne compagnie.

Quant aux hommes, comme ils sont plus libres, ils peuvent écouter leur vocation ; cependant il est des professions perdues dans l’oubli des âges que l’on ne saurait embrasser, et qui se trahissent encore dans les caractères modernes. Il y a, par exemple, des hommes nés moines, qui sont chauves à vingt-cinq ans, qui passent leurs jours à compulser de vieux livres, et qui transforment en cellule tout appartement de garçon.

Il y a encore des hommes nés troubadours, qui ont toute la grâce des anciens trouvères, qui sont dévoués au culte des femmes, qui se sacrifient pour elles, qui les chantent et qui les aiment, et dont le monde se moque précisément à cause de cela, et puis aussi parce qu’ils nouent leur cravate un peu trop en écharpe.

Il y a des hommes nés chevaliers, qui rêvent les grandes entreprises, qui recherchent les nobles dangers, qui s’attaquent aux pouvoirs indignes. Cette canne élégamment sculptée qu’ils tiennent à la main est une ancienne lance.

Il y a enfin des hommes nés bouffons, non point bouffons de théâtre, mais bouffons dans l’acception historique du mot. Leur profession est d’amuser et de distraire ; leur droit est quelquefois d’avertir et d’éclairer. Ils aiment le clinquant et les grelots ; on leur pardonne ces enfantillages ; on leur passe tout, parce qu’ils font rire et qu’on ne les prend jamais au sérieux. Ce sont des nains qu’on laisse grandir, parce qu’ils sont des nains ; ce sont des fous à qui l’on accorde le privilège de dire des vérités sages et dures, parce qu’ils sont des fous. Dans leur malicieuse gaieté, ils jouent avec le sceptre, et vont se percher sur le dossier du trône, comme le fait un singe favori, car à ces familiers sans conséquence tout est permis : l’importunité, l’insolence, et même le courage et l’esprit. C’étaient jadis les rois qui avaient des bouffons, aujourd’hui ce sont les peuples.

Mais ce qu’il y a surtout dans le monde, et nous avons plaisir à le répéter, ce sont des grands seigneurs nés grands seigneurs, et des duchesses nées duchesses, et rien n’est plus