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LETTRES PARISIENNES (1837).

ministration, lui demanda son ukase. Bezborodko ne se déconcerte pas le moins du monde ; il tire un papier du portefeuille, et improvise d’un bout à l’autre, sans hésiter une seconde, tout le projet de loi. Catherine fut tellement satisfaite de cette rédaction, qu’elle prit le papier pour y jeter les yeux. On juge de sa surprise à la vue d’un papier tout blanc ! Bezborodko allait se confondre en excuses ; elle lui imposa silence par des complimenté, et le nomma le lendemain son conseiller privé. » Cette anecdote est empruntée au troisième volume des mémoires de madame Le Brun, dont le succès va toujours croissant.

Le grand scandale de la semaine est la préférence donnée par l’Académie à M. Mignet sur Victor Hugo ; remarquez bien ceci, le scandale n’est pas la nomination de M. Mignet, mais bien la préférence qu’on lui a donnée sur M. Hugo. Nous plaignons M. Mignet s’il en est flatté. M. Mignet sans doute a du talent, mais Victor Hugo est un homme de génie, c’est ce que l’Académie française aurait dû remarquer ; mais les académiciens s’occupent peu du mérite d’un candidat, ils ne s’inquiètent que des convenances. Tel candidat est exclu à cause de sa femme, dont la conduite est légère ; tel autre à cause de son caractère peu avenant ; celui-ci déplaît, celui-là effraye. Mais le talent ?… qu’importe… mais les succès ?… on ne les compte pas ; messieurs de l’Académie tiennent à des qualités aimables ; un nouveau confrère est admis en raison de son doux vivre, de sa gaieté, de son commerce agréable. L’Académie est une jeune fille romanesque, qui ne comprend que le choix du cœur. En vérité, cela fait pitié ; eh ! messieurs, êtes-vous des jeunes gens de clubs, avez-vous le droit de mettre une boule noire pour repousser qui vous déplaît ? Êtes-vous de la société du Caveau moderne, n’admettez-vous que de joyeux convives ? Êtes-vous une société de gens de lettres ? Avez-vous le droit de choisir par bienveillance ou par faveur ? Non, messieurs, non certes, vous n’êtes pas libres de préférer et de haïr. Une fois dans l’enceinte académique, vous perdez votre individualité. Vous n’êtes plus ni poètes, ni historiens, ni auteurs tragiques, ni orateurs ; vous ne vous appelez plus M. Dupaty, M. Scribe, M. de Salvandy, ou M. Casimir Dela-