Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 4.djvu/93

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
87
LETTRES PARISIENNES (1837).

tous les jours, souper ensemble toutes les nuits, ce n’était que se connaître, ce n’était pas de l’intimité ; c’était une relation, et non pas une liaison : puis enfin les jours de grandes fêtes, c’est-à-dire une fois par an, on recevait deux cents personnes, trois cents au plus, dont on n’entendait jamais parler pendant le reste de l’année. Maintenant le cœur a grandi, ou plutôt il s’est créé une monnaie banale qui lui permet de faire vivre une vingtaine d’amis intimes, une centaine de relations affectueuses, et six cents indifférents qui ont droit de visites et de causeries en votre demeure, et qui peuvent tomber chez vous les jours de tristesse, de fièvre, de mauvaise humeur, de paresse, de travail, d’inspiration… ou de bonheur, ce qui est beaucoup plus grave, selon nous.

Or, comme cet accroissement de visite devenait une sorte de fléau, comme il n’a jamais été dans l’intention des gens du monde de se faire un martyre de la politesse, et que nous savons beaucoup trop bien vivre pour rien sacrifier au savoir-vivre, nous avons imaginé de consacrer un jour de la semaine à la plèbe de nos amis, c’est-à-dire à ceux que nous n’aimons pas assez pour leur donner la liberté de venir quand ils le veulent, mais qu’il nous semble assez flatteur de connaître pour que nous désirions nous parer de leur présence de temps en temps. L’usage de recevoir les visites du matin à jour fixe, usage déjà très à la mode depuis plusieurs années dans ce qu’on nomme le grand monde, se généralise chaque jour davantage ; il en résulte ceci : les personnes qui se voyaient souvent ne se voient plus du tout, parce que rien n’est plus difficile que de saisir ce malheureux jour. Si vous le manquez une fois, il vous faut attendre la semaine suivante, et puis une migraine, une affaire, vous retiennent chez vous, et voilà quinze jours de passés. Le lendemain vous seriez libre, vous pourriez aller voir votre amie, mais le lendemain elle ne veut pas de vous ; son cœur vous est ouvert le samedi, ou le jeudi, ou le dimanche ; les autres jours il vous reste fermé comme sa porte ; car ne croyez pas que l’on ait voulu dire : Je suis toujours chez moi le samedi, pour vous donner un moyen certain de venir sans perdre vos pas, non : Je suis chez moi le samedi, signifie : Je ne veux pas de vous les autres jours. Ce n’est pas tout encore :