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LETTRES PARISIENNES (1837).

positif que les plaisirs. Les bals recommencent comme en hiver, et certes le printemps mérite bien cet affront ; mais les femmes, fidèles au calendrier, suivent déjà les modes d’été dans toute leur rigueur. Nous avons vu l’autre soir une parure de glaneuse dont nous avons rêvé, tant elle nous a paru séduisante : robe d’organdi des Indes, vapeur plissée, vent tissu, comme disaient les anciens, volant garni d’ornements de paille ; manches plates garnies aussi de deux petits volants ornés de même ; puis dans les cheveux quelques épis ; rien de plus. Mais que tout ce peu était élégant ! Quel ensemble gracieux ! que cette femme était spirituellement coquette ! Quoi de plus charmant qu’une jolie fleur qui se cache dans un champ de blé ?

Le bal costumé donné au profit des indigents anglais a obtenu tant de succès, que l’on cherche à l’imiter. Le bal de la Liste civile sera, dit-on, une fête du même style. Oh ! que nous aimons les bals costumés ! les belles femmes y paraissent plus belles et sous un aspect nouveau, et les femmes laides qu’une imagination brillante entraîne y sont tout à fait à notre avantage ; les Anglaises surtout sont si franches dans leurs atours ! Car si nous admirons les jolies femmes anglaises avec amertume et envie, nous apprécions aussi avec délices les beautés de fantaisie qu’il plaît « à la perfide Albion » de nous envoyer ; et nous dirons, à sa double gloire, que si Vénus moderne, c’est-à-dire la beauté, est sortie du canal de la Manche, la déesse contraire qu’il ne nous appartient pas de nommer a surgi toute parée des flots épouvantés de la Tamise. Enfin, pour être plus clair, nous reconnaîtrons à nos voisins d’outre-mer cette double suprématie, l’honneur de fournir à nos fêtes les femmes les plus belles et les plus… remarquables dans un autre genre. Les Anglaises ne sont rien à demi, elles sont belles jusqu’à la perfection, ou elles poussent la laideur jusqu’au délire ; et alors elles cessent d’être femmes : ce sont des êtres fossiles inconnus à la création, et dont les espèces indéfiniment variées ne permettent aucune classification ; l’une tient du vieil oiseau, celle-ci du vieux cheval, celle-là du jeune âne, plusieurs du dromadaire, quelques-unes du bison ; toutes du chien caniche. Tout cela, dans un salon tranquillement assis, honnêtement vêtu, fait de la laideur, et l’on n’en parle pas ; mais dans un bal costumé,