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LETTRES PARISIENNES (1837).

merveilleux, l’ensemble était parfait. Maintenant c’est le tour des Abencerrages, opéra de M. et madame Colet. Quel théâtre ! quel directeur ! trois troupes, la comédie, l’opéra-comique, le vaudeville, et quelquefois même les ballets ; en vérité, nous ne savons bien faire que ce qui n’est pas notre métier ; un véritable directeur d’un véritable théâtre ne serait pas si habile.

À propos du théâtre de M. de Castellane, nous raconterons une anecdote assez plaisante pour supporter même ce préambule. Depuis trois semaines un de nos amis avait complètement disparu de la société ; ses parents ne le voyaient plus et ne pouvaient dire ce qu’il devenait ; on ne le rencontrait ni à l’Opéra, ni dans le monde, ni au bois de Boulogne, ni chez lui surtout, car il semblait avoir abandonné aussi sa demeure. On allait jusqu’à l’accuser d’une grande passion. Un jour nous le rencontrons, il marchait vite, il avait l’air affairé, nous l’arrêtons. « Que deviens-tu donc, mon cher ? on ne te voit plus. — Je n’ai pas le temps de bavarder, on m’attend pour la répétition chez M. de Castellane. » Et il disparaît. — Quel rôle joue-t-il donc ? le rôle de Henri IV peut-être ! On répétait alors la comédie de madame Gay. Ne connaissant pas le talent dramatique de notre ami, nous ne savions quel emploi lui assigner. Le jour de la première représentation arrive, nous nous préparons à guetter notre ami. — Le premier acte est terminé au bruit des applaudissements. Mais point d’ami ; il est parlé d’un frère de l’héroïne qui doit venir dans le second acte. Nous attendons. Le frère vient : c’est un jeune homme qui joue fort bien ; mais ce n’est pas notre ami. Le second acte finit, point d’ami ; le canon gronde dans l’entr’acte, l’entr’acte est la bataille d’Ivry. Les ligueurs vont venir, pensons-nous, notre ami est un des ligueurs. En effet, l’intérêt redouble, les ligueurs s’avancent ; mais avec eux point d’ami. Enfin la pièce se termine, et notre inquiétude commence ; sans doute notre ami est malade, il aura cédé son rôle… Tout à coup notre ami apparaît, rouge, ému, triomphant : « Eh bien, dit-il, voilà un beau succès ; j’en suis encore tout étourdi ! — Toi ! mais tu n’y es pour rien. — Pour rien ! sans moi il n’y avait pas de pièce. — Tu ne faisais pas Henri IV ; que faisais-tu donc ? — Eh ! je