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LE VICOMTE DE LAUNAY.

amis. » D’autres disent : « Nous allons à Dieppe ; venez, les bains de mer vous feront grand bien. — Mais je me porte à merveille. — Alors ils vous feront du mal ; c’est égal, venez toujours, vous n’en prendrez pas… » Quelqu’un s’écrie : « Moi, je vais à Spa ; qu’est-ce qui veut venir avec moi ? — Je veux bien, dit un plaisant, mais c’est à une condition, c’est que nous prendrons par Toulouse, où je dois aller voir ma sœur. — Soit, je vous accompagne jusqu’à Toulouse ; mais alors, au lieu d’aller à Spa, nous irons à Bagnères. — Comme vous tenez à vos projets ! — Ah ! le but du voyage m’est indifférent, pourvu que je ne sois pas à Paris au mois d’août, c’est tout ce que je demande. » « Et vous, madame, ne viendrez-vous pas dans notre voisinage aux eaux de Néris ? elles sont toujours fort à la mode. Vous paraissez souffrante ; ces eaux-là vous conviendront parfaitement. — Je ne crois pas à la puissance des eaux… » Ceci veut dire : C’est le chagrin qui me rend malade, et les eaux, même les plus ferrugineuses, ne guérissent pas les peines de cœur… — « Et vous, madame la duchesse, que ferez-vous ? — Je m’en retourne aux champs, et je me réjouis de voir ma chère Touraine et de reprendre ma bonne vie de fermière. — Oh ! je me défie des duchesses fermières. — Et vous avez bien tort. Une fois de retour au village, je me transforme complètement, je mets une grosse robe de laine et de gros sabots, et je cours les chemins comme une véritable paysanne. Vous me prendriez pour une gardeuse de dindons. — J’en doute, madame, et je crois qu’en fait de rusticité vous devez ressembler beaucoup à la princesse C… Elle aussi a voulu se faire fermière quelque temps après la révolution, pour rétablir sa fortune que les événements politiques avaient endommagée. — Eh bien, que lui est-il donc arrivé ? — Il lui est arrivé de dire le plus joli mot de princesse fermière qui se puisse imaginer. Sa sœur et son beau-frère étaient venus la voir ; elle leur faisait, avec sa bonne grâce ordinaire, les honneurs de son château ; elle leur expliquait tous les soins qu’elle faisait donner à sa basse-cour, une basse-cour modèle dont elle s’occupait elle-même. « Voyez mes poules et mes poulets, disait-elle, comme ils sont beaux ! Vous en mangerez à dîner. Quant à mes canards, je ne vous