Elle sauta deux jours pour faire deux cents pas.
Alors elle se croit au bout de l’hémisphère,
Chez un peuple inconnu, dans de nouveaux états ;
Elle admire ces beaux climats,
Salue avec respect cette rive étrangère.
Près de là, des épis nombreux
Sur de longs chalumeaux, à six pieds de la terre,
Ondoyants & pressés se balançoient entre eux.
Ah que voilà bien mon affaire !
Dit-elle avec transport : dans ces sombres taillis
Je trouverai sans doute un désert solitaire ;
C’est un asile sûr contre mes ennemis.
La voilà dans le bled. Mais, dès l’aube suivante,
Voici venir les moissonneurs.
Leur troupe nombreuse & bruyante
S’étend en demi-cercle, &, parmi les clameurs,
Les ris, les chants des jeunes filles,
Les épis entassés tombent sous les faucilles,
La terre se découvre, & les bleds abattus
Laissent voir les sillons tout nus.
Pour le coup, s’écrioit la triste sauterelle,
Voilà qui prouve bien la haine universelle
Qui partout me poursuit : à peine en ce pays
A-t-on su que j’étois, qu’un peuple d’ennemis
S’en vient pour chercher sa victime.
Dans la fureur qui les anime,
Employant contre moi les plus affreux moyens,
Page:Œuvres complètes de Florian, Fauché-Borel, 1793, tome 9 - fables.djvu/191
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