Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 2.djvu/254

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acquéreurs à des centaines, à des milliers de francs la toise carrée. Dans mon pays des Landes, une égale superficie de terrain se donnerait pour cinq centimes. D’où vient la différence ? Est-elle dans les qualités intrinsèques de la terre ? Non, messieurs, on peut faire des fossés aussi profonds et élever des murs aussi hauts chez nous qu’à Paris. Mais ici le terrain à bâtir est dans un autre milieu : il est environné d’une population nombreuse, riche, qui veut être logée.

Ce que je dis des choses est vrai des hommes. L’Auvergnat qui descend de sa montagne, où il ne gagnait peut-être pas dix sous par jour, ne subit pas, en arrivant à Paris, une transformation instantanée. Ses muscles ne prennent pas tout à coup de la force et son esprit du développement. Cependant il gagne 2 et 3 francs. Pourquoi ? Parce qu’il est dans un autre milieu[1].

Mais je crains que ces détails techniques ne vous fatiguent. (Non ! non ! — Parlez ! parlez !)

Le monde, au point de vue économique, peut être considéré comme un vaste bazar où chacun de nous apporte ses services et reçoit en retour… quoi ? des écus, c’est-à-dire des bons qui lui donnent droit à retirer de la masse des services équivalents à ceux qu’il y a versés.

Chacun de nous comprend instinctivement que nos services seront d’autant plus recherchés, d’autant plus demandés, auront d’autant plus de valeur, d’autant plus de prix, qu’ils seront plus rares, toutes choses égales d’ailleurs, c’est-à-dire le grand réservoir commun, le milieu demeurant également pourvu. Et voilà pourquoi nous avons tous l’instinct du monopole. Tous nous voudrions opérer la rareté du service qui fait l’objet de notre industrie, en éloignant nos concurrents.

Mais il est bien clair que, si nous réussissions tous dans

  1. V. au tome VI, le chap. ix (Note de l’éditeur.)