Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 2.djvu/262

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Je vais plus loin. Je dis que l’échange c’est la Société. Ce qui constitue la sociabilité des hommes, c’est la faculté de se partager les occupations, d’unir leurs forces, en un mot d’échanger leurs services. S’il était vrai que dix nations pussent augmenter leur prospérité en s’isolant les unes des autres, cela serait vrai de dix départements. Je défie que les protectionnistes fassent un argument en faveur du travail national, qui ne s’applique au travail départemental, puis au travail communal, puis à celui de la famille, et enfin au travail individuel ; d’où il suit que la restriction, poussée à ses dernières conséquences, c’est l’isolement absolu, c’est la destruction de la société[1].

Nos adversaires disent, il est vrai, qu’ils ne vont pas jusque-là ; qu’ils ne restreignent les échanges que dans certaines circonstances et quand cela leur convient. Ce n’est pas là une justification pour des esprits logiques. Quand nous les combattons, ce n’est pas à l’occasion des échanges qu’ils laissent libres, mais à l’occasion de ceux qu’ils interdisent. C’est dans ce cercle que nous déclarons leur principe faux, nuisible, attentatoire à la propriété, antagonique à la société. Ils ne le poussent pas jusqu’au bout, soit ; et c’est précisément ce qui en prouve l’absurdité qu’il ne puisse soutenir cette épreuve.

Vous voyez bien que nous avions en présence un principe faux. Et que pouvions-nous lui opposer, si ce n’est un principe vrai ?

Mais, Messieurs, je suis de ceux qui pensent que lorsqu’une idée a envahi un grand nombre de bons esprits, lorsqu’un sentiment, même instinctif, est généralement répandu, il doit y avoir en eux quelque chose qui les explique et les justifie. Cette terreur du libre-échange, considérée comme principe absolu, terreur qui s’est emparée de ceux-

  1. V. au tome VI, le chap. Échange.