Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 2.djvu/36

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perte pour le spéculateur marseillais, perte pour le consommateur lyonnais, perte pour l’entrepreneur de transport. Si, au contraire, la liberté est maintenue, le transport sera cher, nous en convenons, puisque, dans l’hypothèse, il n’y a de ressources que pour le transport de 10 tonneaux quand il y a 100 tonneaux à transporter. Mais c’est cette cherté même qui fera affluer de tous les points les voitures vers Marseille, en sorte que la concurrence rétablira le prix du fret à un taux équitable, et les 100 tonneaux arriveront à leur destination.

Nous comprenons que, lorsqu’un obstacle se présente, la première pensée qui vienne à l’esprit, c’est de recourir au gouvernement. Le gouvernement dispose de grandes forces ; et, dès lors, il peut presque toujours vaincre l’obstacle qui gêne. Mais est-il raisonnable de s’en tenir à cette première conséquence et de fermer les yeux sur toutes celles qui s’ensuivent ? Or, si le premier effet de l’action gouvernementale est de vaincre l’obstacle présent, le second effet est d’éloigner et de paralyser toutes les forces individuelles, toute l’activité commerciale. Dès lors pour avoir agi une fois, le gouvernement se voit dans la nécessité d’agir toujours. Il arrive ce que nous voyons en Irlande, où l’État a insensiblement accepté la charge impossible de nourrir, vêtir et occuper la population tout entière.

Un autre trait fort remarquable, c’est l’accès inattendu de philanthropie qui a saisi tout à coup les monopoleurs. Eux, qui pendant tant d’années ont opéré systématiquement la cherté du blé à leur profit, ils se révoltent maintenant avec une sainte ardeur contre tout ce qui tend à renchérir le blé, notamment contre les profits du commerce et de la marine. À la Chambre des lords, le fameux protectionniste lord Bentinck a fait une violente sortie contre les spéculateurs ; et rappelant que Nadir Shah avait fait pendre un Arménien pour avoir accumulé du blé et créé ainsi une