Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 2.djvu/410

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— D’autres s’en soucient pour vous ; n’est-il pas juste qu’ils soient payés de leur temps et de leurs soins ?

— Oui, mais il ne faut pas qu’ils gagnent trop.

— Vous n’avez pas cela à craindre. Ne se font-ils pas aussi concurrence entre eux ?

— Ah ! je n’y pensais pas.

— Vous me disiez l’autre jour que les échanges sont parfaitement libres. Ne faisant pas les vôtres par vous-même, vous ne pouvez le savoir.

— Est-ce que ceux qui les font pour moi ne sont pas libres ?

— Je ne le crois pas. Souvent, en les empêchant d’aller dans un marché où les choses sont à bas prix, on les oblige à aller dans un autre où elles sont chères.

— C’est une horrible injustice qu’on leur fait là !

— Point du tout ; c’est à vous qu’on fait l’injustice, car ce qu’ils ont acheté cher, ils ne peuvent vous le vendre à bon marché.

— Contez-moi cela, je vous prie.

— Le voici. Quelquefois, le drap est cher en France et à bon marché en Belgique. Le marchand qui cherche du drap pour vous va naturellement là où il y en a à bas prix. S’il était libre, voici ce qui arriverait. Il emporterait, par exemple, trois paires de souliers de votre façon, contre lesquels le Belge lui donnerait assez de drap pour vous faire une redingote. Mais il ne le fait pas, sachant qu’il rencontrerait à la frontière un douanier qui lui crierait : Défendu ! Donc le marchand s’adresse à vous et vous demande une quatrième paire de souliers, parce qu’il en faut quatre paires pour obtenir la même quantité de drap français.

— Voyez-la ruse ! Et qui a aposté là ce douanier ?

— Qui pourrait-ce être, sinon le fabricant de drap français ?

— Et quelle est sa raison ?

— C’est qu’il n’aime pas la concurrence.