Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 2.djvu/434

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Insensiblement, M. le maire s’était habitué à regarder tous les hommes comme des niais, que la liberté de l’enseignement rendrait ignorants, la liberté religieuse athées, la liberté du commerce gueux, qui n’écriraient que des sottises avec la liberté de la presse, et feraient contrôler les fonctions par les fonctionnaires avec la liberté électorale. « Il faut organiser et mener toute cette tourbe, » répétait-il souvent. Et quand on lui demandait : « Qui mènera ? » — « Moi, » répondait-il fièrement.

Là où il brillait surtout, c’était dans les délibérations du conseil municipal. Il les discutait et les votait à lui tout seul dans sa chambre, formant à la fois majorité, minorité et unanimité. Puis il disait à l’appariteur :

« C’est aujourd’hui dimanche ? — Oui, monsieur le Maire.

— Les municipaux iront chanter vêpres ? — Oui, monsieur le Maire.

— De là ils se rendront au cabaret ? — Oui, monsieur le Maire.

— Ils se griseront ? — Oui, monsieur le Maire.

— Eh bien, prends ce papier. — Oui, monsieur le Maire.

— Tu iras ce soir au cabaret. — Oui, monsieur le Maire.

— À l’heure où l’on y voit encore assez pour signer.

— Oui, monsieur le Maire.

— Mais où l’on n’y voit déjà plus assez pour lire. — Oui, monsieur le Maire.

— Tu présenteras à mes braves municipaux cette pancarte ainsi qu’une plume trempée d’encre, et tu leur diras, de ma part, de lire et de signer. — Oui, monsieur le Maire.

— Ils signeront sans lire et je serai en règle envers mon préfet. Voilà comment je comprends le gouvernement représentatif. »