Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 2.djvu/439

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M. le maire, accouru au chef-lieu, défendit vaillamment son œuvre, ce noble fruit de sa pensée fécondée par le Moniteur industriel. Il en résulta, entre les deux athlètes, la plus singulière discussion du monde, le plus bizarre dialogue qu’on puisse entendre ; car il faut savoir que M. le préfet était pair de France et fougueux protectionniste. En sorte que tout le bien que M. le préfet disait du tarif des douanes, M. le maire s’en emparait au profit du tarif du pont d’Énios ; et tout le mal que M. le préfet attribuait au tarif du pont, M. le maire le retournait contre le tarif des douanes.

« Quoi ! disait M. le préfet, vous voulez empêcher le drap du voisinage d’entrer à Énios !

— Vous empêchez bien le drap du voisinage d’entrer en France.

— C’est bien différent, mon but est de protéger le travail national.

— Et le mien de protéger le travail communal.

— N’est-il pas juste que les Chambres françaises défendent les fabriques françaises contre la concurrence étrangère ?

— N’est-il pas juste que la municipalité d’Énios défende les fabriques d’Énios contre la concurrence du dehors ?

— Mais votre tarif nuit à votre commerce, il écrase les consommateurs, il n’accroît pas le travail, il le déplace. Il provoque de nouvelles industries, mais aux dépens des anciennes. Comme vous l’a dit le maître d’école, si Pierre veut de l’huile, il pilera des ardoises ; mais alors il ne fera plus de sabots pour les communes environnantes. Vous vous privez de tous les avantages d’une bonne direction du travail.

— C’est justement ce que les théoriciens du libre-échange disent de vos mesures restrictives.

— Les libre-échangistes sont des utopistes qui ne voient jamais les choses qu’au point de vue général. S’ils se bornaient à considérer isolément chaque industrie protégée,