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14. — SUR LA DÉFENSE D’EXPORTER LES CÉRÉALES.


20 Mars 1847.


Proposer à un peuple de laisser exporter les aliments en temps de disette, c’est certainement soumettre sa foi dans le libre-échange à la plus rude de toutes les épreuves. Quoi de plus naturel, quand on est forcé d’aller chercher du blé au dehors, que de commencer par retenir celui qu’on possède ? Au milieu des efforts que font simultanément plusieurs nations pour assurer leurs approvisionnements, pourquoi nous exposerions-nous à ce que la plus riche vînt, à prix d’or, diminuer les nôtres ? — Il ne faut donc pas être surpris de voir les gouvernements les plus éclairés faillir aux principes dans les conjonctures difficiles ; alors même qu’ils seraient convaincus de l’inefficacité de semblables restrictions, ils ne seraient pas assez forts pour les refuser aux alarmes populaires ; ce qui nous ramène toujours à ceci : l’opinion fait la loi ; c’est l’opinion qu’il faut éclairer[1].

Le premier inconvénient des mesures qui restreignent l’exportation, c’est d’être fondées sur un principe dont on ne peut guère, quand on en fait l’application générale, refuser sans inconséquence l’application partielle. Devant cette forte tendance, qui se manifeste dans chaque commune, de s’opposer à l’exportation du blé, quelle est la force morale d’un ministère qui vient de signer la prohibition à la sortie ? Chaque localité pourrait lui répondre par les arguments de son exposé des motifs. On peut bien alors avoir recours aux baïonnettes, mais il faut renoncer à invoquer des raisons.

Au moment où les récoltes des pays producteurs sont

  1. Sur la souveraineté de l’opinion, voyez tome IV, pages 132 à 146. (Note de l’éditeur.)