Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 5.djvu/175

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Pierre est un artisan parisien. Il a besoin qu’un fardeau soit transporté à Lille ; c’est un présent qu’il veut faire à sa mère. S’il n’y avait pas de capital au monde (et il n’y en aurait pas si toute rémunération lui était déniée), ce transport coûterait à Pierre au moins deux mois de fatigues, soit qu’il le fît lui-même, soit qu’il se fît rendre ce service par un autre ; car il ne pourrait l’exécuter lui-même qu’en charriant le fardeau par monts et par vaux, sur ses épaules, et nul ne pourrait l’exécuter pour lui que de la même manière.

Pourquoi se rencontre-t-il des entrepreneurs qui ne demandent à Pierre qu’une journée de son travail pour lui en épargner soixante ? Parce que le capital est intervenu sous forme de char, de chevaux, de rails, de wagons, de locomotives. Sans doute, Pierre doit payer tribut à ce capital ; mais c’est justement pour cela qu’il fait ou fait faire en un jour ce qui lui aurait demandé deux mois.

Jean est maréchal ferrant, fort honnête homme, mais qu’on entend souvent déclamer contre la propriété. Il gagne 3 francs par jour ; c’est peu, c’est trop peu ; mais enfin, comme le blé vaut environ 18 francs l’hectolitre, Jean peut dire qu’il fait jaillir de son enclume un hectolitre de blé par semaine ou la valeur, soit 52 hectolitres par an. Je suppose maintenant qu’il n’y eût pas de capital, et que, mettant notre maréchal en face de 1,000 hectares de terre, on lui dît : Disposez de ce sol, qui est doué d’une grande fertilité ; tout le blé que vous ferez croître est à vous. Jean répondrait sans doute : « Sans chevaux, sans charrue, sans hache, sans instruments d’aucune sorte, comment voulez-vous que je débarrasse le sol des arbres, des racines, des herbes, des pierres, des eaux stagnantes qui l’obstruent ? je n’y ferai pas pousser une gerbe de blé en dix ans. » Donc, que Jean fasse enfin cette réflexion : « Ce que je ne pourrais faire en dix ans, d’autres le font pour moi, et ne me demandent qu’une