Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 5.djvu/212

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que l’intérêt baisse. Oui, le multiplicateur s’amoindrit, mais ce n’est que par la raison même qui fait grossir le multiplicande, et je défie le dieu de l’arithmétique lui-même d’en conclure que le produit arrivera ainsi à zéro[1].

À mesure que les capitaux augmentent (et avec eux les

  1. Cette loi, d’une décroissance qui, quoique indéfinie, n’arrive jamais à zéro, loi bien connue des mathématiciens, gouverne une foule de phénomènes économiques et n’a pas été assez observée.

    Citons-en un exemple familier.

    Tout le monde sait que dans une grande ville, dans un quartier riche et populeux, on peut gagner davantage tout en réduisant les prix de vente. C’est ce qu’on exprime familièrement par cette locution : Se retrouver sur la quantité.

    Supposons quatre marchands de couteaux, l’un au village, l’autre à Bayonne, le troisième à Bordeaux, le quatrième à Paris.

    Nous pourrons avoir le tableau suivant :

    Nombre des couteaux vendus Bénéfice par couteau Bénéfice total
    Village 100 1 fr. » 100 fr.
    Bayonne 200 » 75 150
    Bordeaux 400 » 50 200
    Paris 1,000 » 25 250

    On voit ici un multiplicateur (deuxième colonne) décroître sans cesse, parce que le multiplicande (première colonne) s’accroît toujours ; la progression constante du produit total (troisième colonne) exclut l’idée que le multiplicateur arrive jamais à zéro, alors même qu’on passerait de Paris à Londres, et à des villes de plus en plus grandes et riches.

    Ce qu’il faut bien observer ici, c’est que l’acheteur n’a pas à se plaindre de l’accroissement progressif du bénéfice total réalisé par le marchand, car ce qui l’intéresse, lui acheteur, c’est le profit proportionnel prélevé sur lui comme rémunérateur du service rendu, et ce profit diminue sans cesse. Ainsi, à des points de vue divers, le vendeur et l’acheteur progressent en même temps.

    C’est la loi des capitaux. Bien connue, elle révèle aussi l’harmonie des intérêts entre le capitaliste et le prolétaire, et leur progrès simultané.