Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 5.djvu/22

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ne connaissent pas de privations, faire payer leur part de ces sacrifices à ceux qui n’ont rien, et leur refuser tout, même pour les indispensabilités de la vie ?… »

… « Messieurs, notre société française, nos mœurs, nos lois sont ainsi faites, que l’intervention de l’État, si regrettable qu’on la suppose, se rencontre partout, et que rien ne paraît stable, rien ne paraît durable si l’État n’y montre sa main. C’est l’État qui fait les porcelaines de Sèvres, les tapisseries des Gobelins ; c’est l’État qui expose périodiquement, et à ses frais, les produits de nos artistes, ceux de nos manufactures ; c’est l’État qui récompense nos éleveurs de bestiaux et nos armateurs de pêche. Il en coûte beaucoup pour tout cela ; c’est là encore un impôt que tout le monde paye ; tout le monde, entendez-vous bien ! Et quel bien direct en retire le peuple ? Quel bien direct lui font vos porcelaines, vos tapisseries, vos expositions ? Ce principe de résister à ce que vous appelez un état d’entraînement, on peut le comprendre, quoique hier encore vous ayez voté des primes pour le lin ; on peut le comprendre, mais à condition de consulter le temps ; à la condition surtout de faire preuve d’impartialité. S’il est vrai que, par tous les moyens que je viens d’indiquer, l’État ait eu jusqu’ici l’apparence de venir plus directement au-devant des besoins des classes aisées que de celles moins favorisées, il faut que cette apparence disparaisse. Sera-ce en fermant nos manufactures des Gobelins, en proscrivant nos expositions ? assurément non ; mais en faisant la part directe du pauvre dans cette distribution de bienfaits[1].  »

Dans cette longue énumération de faveurs accordées à quelques-uns aux dépens de tous, on remarque l’extrême prudence avec laquelle M. Mimerel a laissé dans l’ombre les faveurs douanières, encore qu’elles soient la manifestation la plus explicite de la Spoliation légale. Tous les orateurs qui l’ont appuyé ou contredit se sont imposé la même réserve. C’est fort habile ! Peut-être espèrent-ils, en faisant la part du pauvre, dans cette distribution de bienfaits, sauver la grande iniquité dont ils profitent, mais dont ils ne parlent pas.

Ils se font illusion. Croient-ils qu’après avoir réalisé la

  1. Moniteur du 28 avril 1850.