Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 5.djvu/443

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considération du grand nombre et non du petit nombre ? L’intérêt du grand nombre, voilà la règle économique qui n’égare jamais, car elle se confond avec la justice.

Il faut bien convenir d’une chose : c’est que, pour que la protection fût juste, sans cesser d’être désastreuse, il faudrait au moins qu’elle fût égale pour tous. Or, cela est-il même abstractivement possible ?

Les hommes échangent entre eux ou des produits contre des produits, ou des produits contre des services, ou des services contre des services. Même, comme les produits n’ont de valeur qu’à cause des services dont ils sont l’occasion, on peut affirmer que tout se réduit à une mutualité de services.

Or, la douane ne peut évidemment protéger que ce genre de services dont la valeur s’est incorporée dans un produit matériel, susceptible d’être arrêté ou saisi à la frontière. Elle est radicalement impuissante à protéger, en en élevant la valeur, les services directs rendus par le médecin, l’avocat, le prêtre, le magistrat, le militaire, le négociant, l’homme de lettres, l’artiste, l’artisan, ce qui constitue déjà une partie notable de la population. Elle est également impuissante à protéger l’homme qui loue son travail, car celui-ci ne vend pas des produits, mais rend des services. Voilà donc encore tous les ouvriers et journaliers exclus des prétendus avantages de la protection. Mais si la protection ne leur profite pas, elle leur nuit ; et, ici, il faut bien découvrir le contrecoup dont doivent se ressentir les protégés eux-mêmes.

Les deux seules classes protégées, et cela dans une mesure fort inégale, ce sont les manufacturiers et les agriculteurs. Ces deux classes voient une providence dans la douane, et cependant nous sommes témoins qu’elles ne cessent de gémir sur leur détresse. Il faut bien que la protection n’ait pas eu à leur égard toute l’efficacité qu’elles en attendaient. Qui osera dire que l’agriculture et les manufac-