Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 5.djvu/51

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Secondement, il s’obligea à livrer cinq litres de blé en sus de l’hectolitre. Cette clause n’est pas moins juste que l’autre, pensait-il ; sans elle, Mathurin me rendrait un service sans compensation, il s’infligerait une privation, il renoncerait à sa chère entreprise, il me mettrait à même d’accomplir la mienne, il me ferait jouir, pendant un an, du fruit de ses épargnes et tout cela gratuitement. Puisqu’il ajourne son défrichement, puisqu’il me met à même de réaliser un travail lucratif, il est bien naturel que je le fasse participer, dans une mesure quelconque, à des profits que je ne devrai qu’à son sacrifice.

De son côté, Mathurin, qui était quelque peu clerc, faisait ce raisonnement. Puisqu’en vertu de la première clause, le sac de blé me rentrera au bout de l’an, se disait-il, je pourrai lui prêter de nouveau ; il me reviendra, à la seconde année ; je le prêterai encore et ainsi de suite pendant l’éternité. Cependant, je ne puis nier qu’il aura été mangé depuis longtemps. Voilà qui est bizarre que je sois éternellement propriétaire d’un sac de blé, bien que celui que j’ai prêté ait été détruit à jamais. Mais ceci s’explique : il sera détruit au service de Jérôme. Il mettra Jérôme en mesure de produire une valeur supérieure, et par conséquent Jérôme pourra me rendre un sac de blé ou la valeur, sans éprouver aucun dommage ; au contraire. Et quant à moi, cette valeur doit être ma propriété tant que je ne la détruirai pas à mon usage ; si je m’en étais servi pour défricher ma terre, je l’aurais bien retrouvée sous forme de belle moisson. Au lieu de cela, je la prête, je dois la retrouver sous forme de restitution.

Je tire de la seconde clause un autre enseignement. Au bout de l’an, il me rentrera cinq litres de blé en sus des cent litres que je viens de prêter. Si donc je continuais à travailler à la journée, et à épargner sur mon salaire, comme j’ai fait, dans quelque temps, je pourrais prêter deux sacs de blé, puis trois, puis quatre, et lorsque j’en aurais placé