Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 5.djvu/75

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pour cela toute monnaie doit en être sévèrement bannie. Ce qui vous embarrasse, c’est de décider vos adeptes à vider leur escarcelle. Que voulez-vous ? c’est l’écueil de tous les réorganisateurs. Il n’en est pas un qui ne fît merveille s’il parvenait à vaincre toutes les résistances, et si l’humanité tout entière consentait à devenir entre ses doigts cire molle ; mais elle s’entête à n’être pas cire molle. Elle écoute, applaudit ou dédaigne, et…. va comme devant.

— Grâce au Ciel, je résiste encore à cette manie du jour. Au lieu d’inventer des lois sociales, j’étudie celles qu’il a plu à Dieu d’inventer, ayant d’ailleurs le bonheur de les trouver admirables dans leur développement progressif. Et c’est pour cela que je répète : Maudit argent ! maudit argent !

— Vous êtes donc proudhonien ou proudhoniste ? Eh, morbleu ! vous avez un moyen simple de vous satisfaire. Jetez votre bourse dans la Seine, ne vous réservant que cent sous pour prendre une action de la Banque d’échange.

— Puisque je maudis l’argent, jugez si j’en dois maudire le signe trompeur !

— Alors, il ne me reste plus qu’une hypothèse. Vous êtes un nouveau Diogène, et vous allez m’affadir d’une tirade à la Sénèque, sur le mépris des richesses.

— Le Ciel m’en préserve ! Car la richesse, voyez-vous, ce n’est pas un peu plus ou un peu moins d’argent. C’est du pain pour ceux qui ont faim, des vêtements pour ceux qui sont nus, du bois qui réchauffe, de l’huile qui allonge le jour, une carrière ouverte à votre fils, une dot assurée à votre fille, un jour de repos pour la fatigue, un cordial pour la défaillance, un secours glissé dans la main du pauvre honteux, un toit contre l’orage, des ailes aux amis qui se rapprochent, une diversion pour la tête que la pensée fait plier, l’incomparable joie de rendre heureux ceux qui nous sont chers. La richesse, c’est l’instruction, l’indépendance,