Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/131

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se tient dans la région de ce qu’on nomme les affaires, et les affaires se font sous l’influence de l’intérêt personnel… Les puritains du socialisme ont beau crier : « C’est affreux, nous changerons tout cela ; » leurs déclamations à cet égard se donnent à elles-mêmes un démenti permanent. Allez donc les acheter, quai Voltaire, au nom de la fraternité !

Ce serait tomber dans un autre genre de déclamation que d’attribuer de la moralité à des actes déterminés et gouvernés par l’intérêt personnel. Mais certes l’ingénieuse nature peut avoir arrangé l’ordre social de telle sorte que ces mêmes actes, destitués de moralité dans leur mobile, aboutissent néanmoins à des résultats moraux. N’en est-il pas ainsi du travail ? Or je dis que l’Échange, soit à l’état de simple troc, soit devenu vaste commerce, développe dans la société des tendances plus nobles que son mobile.

À Dieu ne plaise que je veuille attribuer à une seule énergie tout ce qui fait la grandeur, la gloire et le charme de nos destinées ! Comme il y a deux forces dans le monde matériel, l’une qui va de la circonférence au centre, l’autre, du centre à la circonférence, il y a aussi deux principes dans le monde social : l’intérêt privé et la sympathie. Qui donc est assez malheureux pour méconnaître les bienfaits et les joies du principe sympathique, manifesté par l’amitié, l’amour, la piété filiale, la tendresse paternelle, la charité, le dévouement patriotique, le sentiment religieux, l’enthousiasme du bon et du beau ? Il y en a qui disent que le principe sympathique n’est qu’une magnifique forme du principe individualiste, et qu’aimer les autres, ce n’est, au fond, qu’une intelligente manière de s’aimer soi-même. Ce n’est pas ici le lieu d’approfondir ce problème. Que nos deux énergies natives soient distinctes ou confondues, il nous suffit de savoir que, loin de se heurter, comme on le dit sans cesse, elles se combinent et concourent à la réalisation d’un même résultat, le Bien général.