Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/146

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obéissant, sans s’en apercevoir, aux influences socialistes, elles veulent mettre la charité dans la loi, c’est-à-dire en bannir la justice, au risque de tuer du même coup la charité privée, toujours prompte à reculer devant la charité légale.

Pourquoi donc nos législateurs bouleversent-ils ainsi toutes les notions ? Pourquoi ne laissent-ils pas chaque chose à sa place : la Sympathie dans son domaine naturel qui est la Liberté ; — et la Justice dans le sien, qui est la Loi ? Pourquoi n’appliquent-ils pas la loi exclusivement à faire régner la justice ? Serait-ce qu’ils n’aiment pas la justice ? Non, mais ils n’ont pas confiance en elle. Justice, c’est liberté et propriété. Or ils sont socialistes sans le savoir ; pour la réduction progressive de la misère, pour l’expansion indéfinie de la richesse, ils n’ont foi, quoi qu’ils en disent, ni à la liberté, ni à la propriété, ni, par conséquent, à la justice. — Et c’est pourquoi on les voit de très-bonne foi chercher la réalisation du Bien par la violation perpétuelle du droit.

On peut appeler lois sociales naturelles l’ensemble des phénomènes, considérés tant dans leurs mobiles que dans leurs résultats, qui gouvernent les libres transactions des hommes.

Cela posé, la question est celle-ci :

Faut-il laisser agir ces lois, — ou faut-il les empêcher d’agir ?

Cette question revient à celle-ci :

Faut il reconnaitre à chacun sa propriété et sa liberté, son droit de travailler et d’échanger sous sa responsabilité, soit qu’elle châtie, soit qu’elle récompense, et ne faire intervenir la Loi, qui est la Force, que pour la protection de ces droits ? — Ou bien, peut-on espérer arriver à une plus grande somme de bonheur social en violant la propriété et la liberté, en réglementant le travail, troublant l’échange et déplaçant les responsabilités ?