Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/269

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Hommes de propriété et de loisir, à quelque degré de l’échelle sociale que vous soyez parvenus à force d’activité, de probité, d’ordre, d’économie, d’où vient le trouble qui vous a saisis ? Ah ! voici que le souffle parfumé mais empoisonné de l’Utopie menace votre existence. On dit, on vocifère que le bien par vous amassé pour assurer un peu de repos à votre vieillesse, du pain, de l’instruction et une carrière à vos enfants, vous l’avez acquis aux dépens de vos frères ; on dit que vous êtes placés entre les dons de Dieu et les pauvres ; que, comme des collecteurs avides, vous avez prélevé, sous le nom de Propriété, Intérêt, Rente, Loyer, une taxe sur ces dons ; que vous avez intercepté, pour les vendre, les bienfaits que le Père commun avait prodigués à tous ses enfants ; on vous appelle à restituer, et ce qui augmente votre effroi, c’est que dans la défense de vos avocats se trouve trop souvent cet aveu implicite : l’usurpation est flagrante, mais elle est nécessaire. Et moi je dis : Non, vous n’avez pas intercepté les dons de Dieu. Vous les avez gratuitement recueillis des mains de la nature, c’est vrai ; mais aussi vous les avez gratuitement transmis à vos frères sans en rien réserver. Ils ont agi de même envers vous, et les seules choses qui aient été réciproquement compensées, ce sont les efforts physiques ou intellectuels, les sueurs répandues, les dangers bravés, l’habileté déployée, les privations acceptées, la peine prise, les services reçus et rendus. Vous n’avez peut-être songé qu’à vous, mais votre intérêt personnel même a été l’instrument d’une Providence infiniment prévoyante et sage pour élargir sans cesse, au sein du genre humain, le domaine de la Communauté ; car, sans vos efforts, tous ces effets utiles que vous avez sollicités de la nature pour les répandre, sans rémunération, parmi les hommes, seraient restés dans une éternelle inertie. Je dis : sans rémunération, parce que celle que vous avez reçue n’est qu’une simple restitution de vos