Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/285

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le lendemain du déluge ; il contient la même quantité de substance alimentaire ; il satisfait au même besoin et dans la même mesure. — Il est une égale richesse réelle, il n’est plus une égale richesse relative. Sa production a été mise en grande partie à la charge de la nature : on l’obtient avec un moindre effort humain ; on se rend un moindre service en se le passant de main en main, il a moins de valeur ; et, pour tout dire en un mot, il est devenu gratuit, non absolument, mais dans la proportion de quarante à un.

Et non-seulement il est devenu gratuit, mais encore commun dans cette proportion. Car ce n’est pas au profit de celui qui le produit que les 39/40 de l’effort ont été anéantis ; mais au profit de celui qui le consomme, quel que soit le genre de travail auquel il se voue.

Vêtement. Même phénomène. Un simple manœuvre entre dans un magasin du Marais et y reçoit un vêtement qui correspond à vingt journées de son travail, que nous supposons être de la qualité la plus inférieure. S’il devait faire ce vêtement lui-même, il n’y parviendrait pas de toute sa vie. S’il eût voulu s’en procurer un semblable du temps d’Henri IV, il lui en eût coûté trois ou quatre cents journées. Qu’est donc devenue, quant aux étoffes, cette différence de valeur rapportée à la durée du travail brut ? Elle a été anéantie, parce que des forces naturelles gratuites se sont chargées de l’œuvre ; et elle a été anéantie au profit de l’humanité tout entière.

Car il ne faut pas cesser de faire remarquer ceci : Chacun doit à son semblable un service équivalent à celui qu’il en reçoit. Si donc l’art du tisserand n’avait fait aucun progrès, si le tissage n’était exécuté en partie par des forces gratuites, le tisserand mettrait deux ou trois cents journées à fabriquer l’étoffe, et il faudrait bien que notre manœuvre cédât deux ou trois cents journées pour l’obtenir. Et puisque le tisserand ne peut parvenir, malgré sa bonne volonté,