Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/307

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le mot gratuité. Ai-je besoin de dire que j’appelle gratuit, non point ce qui ne coûte rien à un homme, parce qu’on l’a pris à un autre, mais ce qui ne coûte rien à personne ?

Quand Diogène se chauffait au soleil, on pouvait dire qu’il se chauffait gratuitement, car il recueillait de la libéralité divine une satisfaction qui n’exigeait aucun travail, ni de lui ni d’aucun de ses contemporains. J’ajoute que cette chaleur des rayons solaires reste gratuite alors que le propriétaire la fait servir à mûrir son blé et ses raisins, attendu qu’en vendant ses raisins et son blé, il se fait payer ses services et non ceux du soleil. Cette vue peut être erronée (en ce cas, il ne nous reste qu’à nous faire communiste) ; mais, en tous cas, tel est le sens que je donne et qu’emporte évidemment le mot gratuité.

On parle beaucoup, depuis la République, de crédit gratuit, d’instruction gratuite. Mais il est clair qu’on enveloppe un grossier sophisme dans ce mot. Est-ce que l’État peut faire que l’instruction se répande, comme la lumière du jour, sans qu’il en coûte aucun effort à personne ? Est-ce qu’il peut couvrir la France d’institutions et de professeurs qui ne se fassent pas payer de manière ou d’autre ? Tout ce que l’État peut faire, c’est ceci : au lieu de laisser chacun réclamer et rémunérer volontairement ce genre de services, l’État peut arracher, par l’impôt, cette rémunération aux citoyens, et leur faire distribuer ensuite l’instruction de son choix, sans exiger d’eux une seconde rémunération. En ce cas, ceux qui n’apprennent pas payent pour ceux qui apprennent, ceux qui apprennent peu pour ceux qui apprennent beaucoup, ceux qui se destinent aux travaux manuels pour ceux qui embrasseront les carrières libérales. C’est le Communisme appliqué à une branche de l’activité humaine. Sous ce régime, que je n’ai pas à juger ici, on pourra dire, on devra dire : l’instruction est commune, mais il serait ridicule de dire : l’instruction est gratuite. Gratuite !