Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/36

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


Si ces questions n’avaient d’autre portée que celle-ci : La société peut-elle se passer de lois écrites, de règles, de mesures répressives ? chaque homme peut-il faire un usage illimité de ses facultés, alors même qu’il porterait atteinte aux libertés d’autrui, ou qu’il infligerait un dommage à la communauté tout entière ? en un mot, faut-il voir dans cette maxime : Laissez faire, laissez passer, la formule absolue de l’économie politique ? si, dis-je, c’était là la question, la solution ne pourrait être douteuse pour personne. Les économistes ne disent pas qu’un homme peut tuer, saccager, incendier, que la société n’a qu’à le laisser faire ; ils disent que la résistance sociale à de tels actes se manifesterait de fait, même en l’absence de tout code ; que, par conséquent, cette résistance est une loi générale de l’humanité ; ils disent que les lois civiles ou pénales doivent régulariser et non contrarier l’action de ces lois générales qu’elles supposent. Il y a loin d’une organisation sociale fondée sur les lois générales de l’humanité à une organisation artificielle, imaginée, inventée, qui ne tient aucun compte de ces lois, les nie ou les dédaigne, telle enfin que semblent vouloir l’imposer plusieurs écoles modernes.

Car, s’il y a des lois générales qui agissent indépendamment des lois écrites et dont celles-ci ne doivent que régulariser l’action, il faut étudier ces lois générales ; elles peuvent être l’objet d’une science, et l’économie politique existe. Si, au contraire, la société est une invention humaine, si les hommes ne sont que de la matière inerte, auxquels un grand génie, comme dit Rousseau, doit donner le sentiment et la volonté, le mouvement et la vie, alors il n’y a pas d’économie politique ; il n’y a qu’un nombre indéfini d’arrangements possibles et contingents, et le sort des nations dépend du fondateur auquel le hasard aura confié leurs destinées.

Pour prouver que la société est soumise à des lois géné-