Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/371

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et peut-être pourrions-nous, avec quelque fondement, nous plaindre d’avoir été traités par l’Auteur des choses d’une manière si irrémédiablement inégale. Serions-nous frères ici-bas ? Pourrions-nous nous considérer comme les fils d’un Père commun ? Le défaut de Concurrence, c’est-à-dire de Liberté, serait d’abord un obstacle invincible à l’Égalité. Le défaut d’égalité exclurait toute idée de Fraternité. Il ne resterait rien de la devise républicaine.

Mais vienne la Concurrence, et nous la verrons frapper d’impossibilité absolue ces marchés léonins, ces accaparements des dons de Dieu, ces prétentions révoltantes dans l’appréciation des services, ces inégalités dans les efforts échangés.

Et remarquons d’abord que la Concurrence intervient forcément, provoquée qu’elle est par ces inégalités mêmes. Le travail se porte instinctivement du côté où il est le mieux rétribué, et ne manque pas de faire cesser cet avantage anormal ; de telle sorte que l’Inégalité n’est qu’un aiguillon qui nous pousse malgré nous vers l’Égalité. C’est une des plus belles intentions finales du mécanisme social. Il semble que la Bonté infinie, qui a répandu ses biens sur la terre, ait choisi l’avide producteur pour en opérer entre tous la distribution équitable ; et certes c’est un merveilleux spectacle que celui de l’intérêt privé réalisant sans cesse ce qu’il évite toujours. L’homme, en tant que producteur, est attiré fatalement, nécessairement vers les grosses rémunérations, qu’il fait par cela même rentrer dans la règle. Il obéit à son intérêt propre, et qu’est-ce qu’il rencontre sans le savoir, sans le vouloir, sans le chercher ? L’intérêt général.

Ainsi, pour revenir à notre exemple, par ce motif que l’homme des tropiques, exploitant les dons de Dieu, reçoit une rémunération excessive, il s’attire la Concurrence. Le travail humain se porte de ce côté avec une ardeur proportionnelle, si je puis m’exprimer ainsi, à l’amplitude de