Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/439

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nous font pleurer d’admiration en nous contemplant nous-mêmes, nous ne les faisons pas, mais nous les exigeons[1].

La manière dont la grande mystification s’opère mérite d’être observée.

Voler ! Fi donc, c’est abject ; d’ailleurs cela mène au bagne, car la loi le défend. — Mais si la loi l’ordonnait et prêtait son aide, ne serait-ce pas bien commode  ?… Quelle lumineuse inspiration  !…

Aussitôt on demande à la loi un petit privilége, un petit monopole, et comme, pour le faire respecter, il en coûterait quelques peines, on prie l’État de s’en charger. L’État et la loi s’entendent pour réaliser précisément ce qu’ils avaient mission de prévenir ou de punir. Peu à peu, le goût des monopoles gagne. Il n’est pas de classe qui ne veuille le sien. Tous pour chacun, s’écrient-elles, nous voulons aussi nous montrer philanthropes et faire voir que nous comprenons la solidarité.

Il arrive que les classes », se volant réciproquement, perdent au moins autant, par les exactions qu’elles subissent, qu’elles gagnent aux exactions qu’elles exercent. En outre, la grande masse des travailleurs, à qui l’on n’a pas pu accorder de priviléges, souffre, dépérit et n’y peut résister. Elle s’insurge, couvre les rues de barricades et de sang, et voici qu’il faut compter avec elle.

Que va-t-elle demander ? Exigera-t-elle l’abolition des abus, des priviléges, des monopoles, des restrictions sous lesquels elle succombe ? Pas du tout. On l’a imbue, elle aussi, de philanthropisme. On lui a dit que le fameux tous pour chacun, c’était la solution du problème social ; on lui a démontré, par maint exemple, que le privilége (qui n’est qu’un

  1. Voir le pamphlet Spoliation et Loi, tome V, pag.2 et suiv. (Note de l’éditeur.)