Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/652

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Or, je le demande, est-il plus facile de concilier avec l’idée de la bonté infinie de Dieu, le mal frappant individuellement tout homme venant au monde que le mal s’étendant sur la société tout entière ? Et puis n’est-ce pas une contradiction si manifeste qu’elle en est puérile de nier la douleur dans les masses, quand on l’avoue dans les individus ?

L’homme souffre et souffrira toujours. Donc la société souffre et souffrira toujours. Ceux qui lui parlent doivent avoir le courage de le lui dire. L’humanité n’est pas une petite-maîtresse, aux nerfs agacés, à qui il faut cacher la lutte qui l’attend, alors surtout qu’il lui importe de la prévoir pour en sortir triomphante. Sous ce rapport, tous les livres dont la France a été inondée à partir de Sismondi et de Buret, me paraissent manquer de virilité. Ils n’osent pas dire la vérité ; que dis-je ? ils n’osent pas l’étudier, de peur de découvrir que la misère absolue est le point de départ obligé du genre humain, et que, par conséquent, bien loin qu’on puisse l’attribuer à l’ordre social, c’est à l’ordre social qu’on doit toutes les conquêtes qui ont été faites sur elle. Mais, après un tel aveu, on ne pourrait pas se faire le tribun et le vengeur des masses opprimées par la civilisation.

Après tout, la science constate, enchaîne, déduit les faits ; elle ne les crée pas ; elle ne les produit pas ; elle n’en est pas responsable. N’est-il pas étrange qu’on ait été jusqu’à émettre et même vulgariser ce paradoxe : Si l’humanité souffre, c’est la faute de l’économie politique ? Ainsi, après l’avoir blâmée d’observer les maux de la société, on l’a accusée de les avoir engendrés en vertu de cette observation même.

Je dis que la science ne peut qu’observer et constater. Quand elle viendrait à reconnaître que l’humanité, au lieu d’être progressive, est rétrograde, que des lois insurmon-