Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 7.djvu/163

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le nouveau tarif américain, quoique nous le considérions comme très défectueux au point de vue fiscal.

À ce sujet, je ne crois pas, comme vous, que les Américains, en maintenant des droits monstrueux de 40 et de 100 pour 100, aient songé à réduire le chiffre total de leurs importations, de crainte qu’il ne surpassât celui des exportations. Ce serait les supposer encore encroûtés dans la balance du commerce, et ils ne méritent pas cette épigramme. Mais, direz-vous, si ce n’est ni l’intérêt de la protection ni celui du fisc qui les a décidés, comment expliquer ces droits absurdes sur le vin et l’eau-de-vie ? — Je les explique par le sentimentalisme. En Amérique, comme ailleurs, il est fort à la mode. On veut faire de la moralisation à coups d’impôts et de tarifs. Les sociétés de tempérance, les teetotallers ont voulu imposer leur doctrine au lieu de la prêcher, voilà tout. C’est un chapitre de plus à ajouter à l’histoire de l’intolérance à bonne intention ; mais, quel que soit l’intérêt du sujet, ce n’est pas ici le lieu de le traiter.

Me permettrez-vous, Monsieur, de vous faire remarquer que la dernière phrase de votre article cache le sophisme qui sert de prétexte à tous les priviléges ?

Vous dites : « Si les manufactures américaines ne peuvent pas demeurer victorieuses sur leur propre marché, c’est qu’il y a en elles un germe incurable d’impuissance… »

Ce germe, c’est la cherté des capitaux et de la main-d’œuvre.

En d’autres termes, les Américains ne sont impuissants à filer le coton que parce qu’ils gagnent plus à faire autre chose. Les plaindre à ce sujet, c’est comme si l’on disait à M. de Rothschild : « Il est vraiment fâcheux pour vous que votre état de banquier vous donne un million de rente ; cela vous met dans l’impuissance incurable de soutenir la concurrence avec les cordonniers, s’il vous prenait fantaisie de faire des souliers. »