Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/10

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la belle Hélène et lui faire habiter le manoir gothique de Faust. Sauf deux ou trois exceptions, toute son œuvre est moderne ; il s’était assimilé les vivants, il ne ressuscitait pas les morts.

L’on a fait nombre de critiques sur Balzac et parlé de lui de bien des façons, mais on n’a pas insisté sur un point très caractéristique à notre avis ; — ce point est la modernité absolue de son génie. Balzac ne doit rien à l’antiquité ; — pour lui il n’y a ni Grecs ni Romains, et il n’a pas besoin de crier qu’on l’en délivre. Balzac, comme Gavarni, a vu ses contemporains ; et dans l’art, la difficulté suprême c’est de peindre ce qu’on a devant les yeux.

Cette profonde compréhension des choses modernes rendait, il faut le dire, Balzac peu sensible à la beauté plastique. Il lisait d’un œil négligent les blanches strophes de marbre où l’art grec chanta la perfection de la forme humaine. Dans le musée des antiques, il regardait la Vénus de Milo sans grande extase ; mais la Parisienne arrêtée devant l’immortelle statue, drapée de son long cachemire filant sans un pli de la nuque au talon, coiffée de son chapeau à voilette de Chantilly, gantée de son étroit gant Jouvin, avançant sous l’ourlet de sa robe à volants le bout verni de sa bottine claquée, faisait pétiller son œil de plaisir, Il en analysait les coquettes allures, il en dégustait longuement les grâces savantes, tout en trouvant comme elle que la déesse avait la taille bien lourde et ne ferait pas bonne figure chez Mmes de Beauséant, de Listomère ou d’Espard, La beauté idéale, avec ses lignes sereines et pures, était trop simple, trop froide, trop une, pour ce génie compliqué, touffu et divers. — Aussi dit-il quelque part : « Il faut être Raphaël pour faire beaucoup de Vierges, » — Le caractère lui plaisait plus que le style, et il préférait la physionomie à la beauté. Dans ses portraits de femme, il ne manque jamais de mettre un signe, un pli, une ride, une plaque rose, un coin attendr et fatigué, une veine trop apparente, quelque détail indiquant les meurtrissures de la vie, qu’un poête, traçant la même image, eût à coup sûr supprimé, à tort sans doute.

Avec son profond instinct de la réalité, Balzac comprit que