Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/109

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

d’excellentes raisons pour ne pas abandonner vingt mille francs à un parent. Eh bien ! ne boude pas, mon enfant, et parlons raisonnablement. Parmi les jeunes gens à marier, n’as-tu pas remarqué monsieur de Manerville ?

— Oh ! il dit zeu au lieu de jeu, il regarde toujours son pied parce qu’il le croit petit, et il se mire ! D’ailleurs, il est blond, je n’aime pas les blonds.

— Eh bien ! monsieur de Beaudenord ?

— Il n’est pas noble. Il est mal fait et gros. À la vérité il est brun. Il faudrait que ces deux messieurs s’entendissent pour réunir leurs fortunes, et que le premier donnât son corps et son nom au second qui garderait ses cheveux, et alors… peut-être…

— Qu’as-tu à dire contre monsieur de Rastignac ?

— Il est devenu presque banquier, dit-elle malicieusement.

— Et le vicomte de Portenduère, notre parent ?

— Un enfant qui danse mal, et d’ailleurs sans fortune. Enfin, mon père, ces gens-là n’ont pas de titre. Je veux être au moins comtesse comme l’est ma mère.

— Tu n’as donc vu personne cet hiver, qui…

— Non, mon père.

— Que veux-tu donc ?

— Le fils d’un pair de France.

— Ma fille, vous êtes folle ! dit monsieur de Fontaine en se levant.

Mais tout à coup il leva les yeux au ciel, sembla puiser une nouvelle dose de résignation dans une pensée religieuse ; puis, jetant un regard de pitié paternelle sur son enfant, qui devint émue, il lui prit la main, la serra, et lui dit avec attendrissement : — Dieu m’en est témoin, pauvre créature égarée ! j’ai consciencieusement rempli mes devoirs de père envers toi, que dis-je, consciencieusement ? avec amour, mon Émilie. Oui, Dieu le sait, cet hiver j’ai amené près de toi plus d’un honnête homme dont les qualités, les mœurs, le caractère m’étaient connus, et tous ont paru dignes de toi. Mon enfant, ma tâche est remplie. D’aujourd’hui je te rends l’arbitre de ton sort, me trouvant heureux et malheureux tout ensemble de me voir déchargé de la plus lourde des obligations paternelles. Je ne sais pas si longtemps encore tu entendras une voix qui, par malheur, n’a jamais été sévère ; mais souviens-toi que le bonheur conjugal ne se fonde pas tant sur des qualités brillantes et