Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/128

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elle se savait aimée, et avec quel art ne se plaisait-elle pas à faire déployer au jeune inconnu les trésors d’une instruction qui se montra variée ! Elle s’aperçut qu’elle aussi était observée avec soin, et alors elle essaya de vaincre tous les défauts que son éducation avait laissés croître en elle. N’était-ce pas déjà un premier hommage rendu à l’amour, et un reproche cruel qu’elle s’adressait à elle-même ? Elle voulait plaire, elle enchanta ; elle aimait, elle fut idolâtrée. Sa famille, sachant qu’elle était gardée par son orgueil, lui donnait assez de liberté pour qu’elle pût savourer ces petites félicités enfantines qui donnent tant de charme et de violence aux premières amours. Plus d’une fois, le jeune homme et mademoiselle de Fontaine se promenèrent seuls dans les allées de ce parc où la nature était parée comme une femme qui va au bal. Plus d’une fois, ils eurent de ces entretiens sans but ni physionomie dont les phrases les plus vides de sens sont celles qui cachent le plus de sentiments. Ils admirèrent souvent ensemble le soleil couchant et ses riches couleurs. Ils cueillirent des marguerites pour les effeuiller, et chantèrent les duos les plus passionnés en se servant des notes trouvées par Pergolèse ou par Rossini, comme de truchements fidèles pour exprimer leurs secrets.

Le jour du bal arriva. Clara Longueville et son frère, que les valets s’obstinaient à décorer de la noble particule, en furent les héros. Pour la première fois de sa vie, mademoiselle de Fontaine vit le triomphe d’une jeune fille avec plaisir. Elle prodigua sincèrement à Clara ces caresses gracieuses et ces petits soins que les femmes ne se rendent ordinairement entre elles que pour exciter la jalousie des hommes. Mais Émilie avait un but, elle voulait surprendre des secrets. La réserve de mademoiselle Longueville fut au moins égale à celle de son frère ; mais, en sa qualité de fille, peut-être montra-t-elle plus de finesse et d’esprit que lui, car elle n’eut pas même l’air d’être discrète et sut tenir la conversation sur des sujets étrangers aux intérêts matériels, tout en y jetant un si grand charme que mademoiselle de Fontaine en conçut une sorte d’envie, et surnomma Clara la sirène. Quoique Émilie eût formé le dessein de faire causer Clara, ce fut Clara qui interrogea Émilie ; elle voulait la juger, et fut jugée par elle. Elle se dépita souvent d’avoir laissé percer son caractère dans quelques réponses que lui arracha malicieusement Clara dont l’air modeste et candide éloignait tout soupçon de perfidie. Il y eut un moment où mademoiselle de Fontaine