Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/162

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de revoir Adélaïde. S’il avait écouté sa passion, il serait entré chez ses voisines dès six heures du matin, en arrivant à son atelier. Il eut cependant encore assez de raison pour attendre jusqu’à l’après-midi. Mais, aussitôt qu’il crut pouvoir se présenter chez madame de Rouville, il descendit, sonna, non sans quelques larges battements de cœur ; et, rougissant comme une jeune fille, il demanda timidement le portrait du baron de Rouville à mademoiselle Leseigneur qui était venue lui ouvrir.

— Mais entrez, lui dit Adélaïde qui l’avait sans doute entendu descendre de son atelier.

Le peintre la suivit, honteux, décontenancé, ne sachant rien dire, tant le bonheur le rendait stupide. Voir Adélaïde, écouter le frissonnement de sa robe, après avoir désiré pendant toute une matinée d’être près d’elle, après s’être levé cent fois en disant : — Je descends ! et n’être pas descendu ; c’était, pour lui, vivre si richement que de telles sensations trop prolongées lui auraient usé l’âme. Le cœur a la singulière puissance de donner un prix extraordinaire à des riens. Quelle joie n’est-ce pas pour un voyageur de recueillir un brin d’herbe, une feuille inconnue, s’il a risqué sa vie dans cette recherche ! Les riens de l’amour sont ainsi. La vieille dame n’était pas dans le salon. Quand la jeune fille s’y trouva seule avec le peintre, elle apporta une chaise pour avoir le portrait ; mais, en s’apercevant qu’elle ne pouvait pas le décrocher sans mettre le pied sur la commode, elle se tourna vers Hippolyte et lui dit en rougissant : — Je ne suis pas assez grande. Voulez-vous le prendre ?

Un sentiment de pudeur, dont témoignaient l’expression de sa physionomie et l’accent de sa voix, était le véritable motif de sa demande ; et le jeune homme, la comprenant ainsi, lui jeta un de ces regards intelligents qui sont le plus doux langage de l’amour. Adélaïde, voyant que le peintre l’avait devinée, baissa les yeux par un mouvement de fierté dont le secret appartient aux vierges. Ne trouvant pas un mot à dire, et presque intimidé, le peintre prit alors le tableau, l’examina gravement en le mettant au jour près de la fenêtre, et s’en alla sans dire autre chose à mademoiselle Leseigneur que : « Je vous le rendrai bientôt. » Tous deux avaient, pendant ce rapide instant, ressenti une de ces commotions vives dont les effets dans l’âme peuvent se comparer à ceux que produit une pierre jetée au fond d’un lac. Les réflexions les plus douces naissent et se succèdent, indéfinissables, multipliées, sans but,