Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/193

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— Oui, répondit le peintre. Vous êtes patriote ; mais, ne le fussiez-vous pas, ce serait encore vous à qui je l’aurais confié.

Le maître et l’écolière se comprirent, et Ginevra ne craignit plus de demander : — Qui est-ce ?

— L’ami intime de Labédoyère, celui qui, après l’infortuné colonel, a contribué le plus à la réunion du septième avec les grenadiers de l’île d’Elbe. Il était chef d’escadron dans la Garde, et revient de Waterloo.

— Comment n’avez-vous pas brûlé son uniforme, son shako, et ne lui avez-vous pas donné des habits bourgeois ? dit vivement Ginevra.

— On doit m’en apporter ce soir.

— Vous auriez dû fermer notre atelier pendant quelques jours.

— Il va partir.

— Il veut donc mourir ? dit la jeune fille. Laissez-le chez vous pendant le premier moment de la tourmente. Paris est encore le seul endroit de la France où l’on puisse cacher sûrement un homme. Il est votre ami ? demanda-t-elle.

— Non, il n’a pas d’autres titres à ma recommandation que son malheur. Voici comment il m’est tombé sur les bras : mon beau-père, qui avait repris du service pendant cette campagne, a rencontré ce pauvre jeune homme, et l’a très-subtilement sauvé des griffes de ceux qui ont arrêté Labédoyère. Il voulait le défendre, l’insensé !

— C’est vous qui le nommez ainsi ! s’écria Ginevra en lançant un regard de surprise au peintre, qui garda le silence un moment.

— Mon beau-père est trop espionné pour pouvoir garder quelqu’un chez lui, reprit-il. Il me l’a donc nuitamment amené la semaine dernière. J’avais espéré le dérober à tous les yeux en le mettant dans ce coin, le seul endroit de la maison où il puisse être en sûreté.

— Si je puis vous être utile, employez-moi, dit Ginevra, je connais le maréchal Feltre.

— Eh bien ! nous verrons, répondit le peintre.

Cette conversation dura trop longtemps pour ne pas être remarquée de toutes les jeunes filles. Servin quitta Ginevra, revint encore à chaque chevalet, et donna de si longues leçons qu’il était encore sur l’escalier quand sonna l’heure à laquelle ses écolières avaient l’habitude de partir.