Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/195

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Il alla précipitamment vers la porte de l’atelier ; mais plus leste que lui, Ginevra s’était élancée et lui en barrait le chemin.

— Rétablirez-vous l’Empereur ? dit-elle. Croyez-vous pouvoir relever ce géant quand lui-même n’a pas su rester debout ?

— Que voulez-vous que je devienne ? dit alors le proscrit en s’adressant aux deux amis que lui avait envoyés le hasard. Je n’ai pas un seul parent dans le monde, Labédoyère était mon protecteur et mon ami, je suis seul ; demain je serai peut-être proscrit ou condamné, je n’ai jamais eu que ma paye pour fortune, j’ai mangé mon dernier écu pour venir arracher Labédoyère à son sort et tâcher de l’emmener ; la mort est donc une nécessité pour moi. Quand on est décidé à mourir, il faut savoir vendre sa tête au bourreau. Je pensais tout à l’heure que la vie d’un honnête homme vaut bien celle de deux traîtres, et qu’un coup de poignard bien placé peut donner l’immortalité !

Cet accès de désespoir effraya le peintre et Ginevra elle-même, qui comprit bien le jeune homme. L’Italienne admira cette belle tête et cette voix délicieuse dont la douceur était à peine altérée par des accents de fureur ; puis elle jeta tout à coup du baume sur toutes les plaies de l’infortuné.

— Monsieur, dit-elle, quant à votre détresse pécuniaire, permettez-moi de vous offrir l’or de mes économies. Mon père est riche, je suis son seul enfant, il m’aime, et je suis bien sûre qu’il ne me blâmera pas. Ne vous faites pas scrupule d’accepter : nos biens viennent de l’Empereur, nous n’avons pas un centime qui ne soit un effet de sa munificence. N’est-ce pas être reconnaissants que d’obliger un de ses fidèles soldats ? Prenez donc cette somme avec aussi peu de façons que j’en mets à vous l’offrir. Ce n’est que de l’argent, ajouta-t-elle d’un ton de mépris. Maintenant, quant à des amis, vous en trouverez ! Là, elle leva fièrement la tête, et ses yeux brillèrent d’un éclat inusité. — La tête qui tombera demain devant une douzaine de fusils sauve la vôtre, reprit-elle. Attendez que cet orage passe, et vous pourrez aller chercher du service à l’étranger si l’on ne vous oublie pas, ou dans l’armée française si l’on vous oublie.

Il existe dans les consolations que donne une femme une délicatesse qui a toujours quelque chose de maternel, de prévoyant, de complet. Mais quand, à ces paroles de paix et d’espérance, se joignent la grâce des gestes, cette éloquence de ton qui vient du