Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/235

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Ginevra ! Il commençait à faire nuit quand il arriva chez lui. Il entra tout doucement, craignant de donner une trop forte émotion à sa femme, qu’il avait laissée faible. Les derniers rayons du soleil pénétrant par la lucarne venaient mourir sur le visage de Ginevra qui dormait assise sur une chaise en tenant son enfant sur son sein.

— Réveille-toi, ma chère Ginevra, dit-il sans s’apercevoir de la pose de son enfant qui en ce moment conservait un éclat surnaturel.

En entendant cette voix, la pauvre mère ouvrit les yeux, rencontra le regard de Luigi, et sourit ; mais Luigi jeta un cri d’épouvante : Ginevra était tout à fait changée, à peine la reconnaissait-il, il lui montra par un geste d’une sauvage énergie l’or qu’il avait à la main.

La jeune femme se mit à rire machinalement, et tout à coup elle s’écria d’une voix affreuse : — Louis ! l’enfant est froid.

Elle regarda son fils et s’évanouit, car le petit Barthélémy était mort. Luigi prit sa femme dans ses bras sans lui ôter l’enfant qu’elle serrait avec une force incompréhensible ; et après l’avoir posée sur le lit, il sortit pour appeler au secours.

— Ô mon Dieu ! dit-il à son propriétaire qu’il rencontra sur l’escalier, j’ai de l’or, et mon enfant est mort de faim, sa mère se meurt, aidez-nous !

Il revint comme un désespéré vers Ginevra, et laissa l’honnête maçon occupé, ainsi que plusieurs voisins, de rassembler tout ce qui pouvait soulager une misère inconnue jusqu’alors, tant les deux Corses l’avaient soigneusement cachée par un sentiment d’orgueil. Luigi avait jeté son or sur le plancher, et s’était agenouillé au chevet du lit où gisait sa femme.

— Mon père ! s’écriait Ginevra dans son délire, prenez soin de mon fils qui porte votre nom.

— Ô mon ange ! calme-toi, lui disait Luigi en l’embrassant, de beaux jours nous attendent.

Cette voix et cette caresse lui rendirent quelque tranquillité.

— Ô mon Louis ! reprit-elle en le regardant avec une attention extraordinaire, écoute-moi bien. Je sens que je meurs. La mort est naturelle, je souffrais trop, et puis un bonheur aussi grand que le mien devait se payer. Oui, mon Luigi, console-toi. J’ai été si heureuse, que si je recommençais à vivre, j’accepterais encore notre destinée. Je suis une mauvaise mère : je te regrette encore plus