Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/300

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tide, qui repoussait avec vivacité un candélabre, un flambeau, un meuble, dès qu’elle y apercevait la nudité d’un torse égyptien ? À cette époque l’école de David arrivait à l’apogée de sa gloire, tout se ressentait en France de la correction de son dessin et de son amour pour les formes antiques qui fit en quelque sorte de sa peinture une sculpture coloriée. Aucune de toutes les inventions du luxe impérial n’obtint droit de bourgeoisie chez madame de Granville. L’immense salon carré de son hôtel conserva le blanc et l’or fanés qui l’ornaient au temps de Louis XV, et où l’architecte avait prodigué les grilles en losanges et ces insupportables festons dus à la stérile fécondité des crayons de cette époque. Si l’harmonie eût régné du moins, si les meubles eussent fait affecter à l’acajou moderne les formes contournées mises à la mode par le goût corrompu de Boucher, la maison d’Angélique n’aurait offert que le plaisant contraste de jeunes gens vivant au dix-neuvième siècle comme s’ils eussent appartenu au dix-huitième ; mais une foule de choses y produisaient des antithèses ridicules pour les yeux. Les consoles, les pendules, les flambeaux représentaient ces attributs guerriers que les triomphes de l’Empire rendirent si chers à Paris. Ces casques grecs, ces épées romaines croisées, les boucliers dus à l’enthousiasme militaire et qui décoraient les meubles les plus pacifiques, ne s’accordaient guère avec les délicates et prolixes arabesques, délices de madame de Pompadour. La dévotion porte à je ne sais quelle humilité fatigante qui n’exclut pas l’orgueil. Soit modestie, soit penchant, madame de Granville semblait avoir horreur des couleurs douces et claires. Peut-être aussi pensa-t-elle que la pourpre et le brun convenaient à la dignité du magistrat. Mais, comment une jeune fille accoutumée à une vie austère aurait-elle pu concevoir ces voluptueux divans qui inspirent de mauvaises pensées, ces boudoirs élégants et perfides où s’ébauchent les péchés ? Le pauvre magistrat fut désolé. Au ton d’approbation par lequel il souscrivit aux éloges que sa femme se donnait elle-même, elle s’aperçut que rien ne plaisait à son mari. Elle manifesta tant de chagrin de n’avoir pas réussi, que l’amoureux Granville vit une preuve d’amour dans cette peine profonde, au lieu d’y voir une blessure faite à l’amour-propre. Une jeune fille subitement arrachée à la médiocrité des idées de province, inhabile aux coquetteries, à l’élégance de la vie parisienne, pouvait-elle donc mieux faire ? Le magistrat préféra croire que les choix de sa femme avaient été