Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/319

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Vandenesse ? Quant à l’autre, le mariage de son aînée lui prépare une belle alliance. Quant à mes deux fils, n’ont-ils pas très-bien réussi ! le vicomte est Avocat-Général à Limoges, et le cadet est substitut à Versailles. Mes enfants ont leurs soins, leurs inquiétudes, leurs affaires. Si parmi ces cœurs, un seul se fût entièrement consacré à moi, s’il eût essayé par son affection de combler le vide que je sens là, dit-il en frappant sur son sein, eh bien ! celui-là aurait manqué sa vie, il me l’aurait sacrifiée. Et pourquoi, après tout ? pour embellir quelques années qui me restent, y serait-il parvenu, n’aurais-je pas peut-être regardé ses soins généreux comme une dette ? Mais… Ici le vieillard se prit à sourire avec une profonde ironie. Mais, docteur, ce n’est pas en vain que nous leur apprenons l’arithmétique, et ils savent calculer. En ce moment, ils attendent peut-être ma succession.

— Oh ! monsieur le comte, comment cette idée peut-elle vous venir, à vous si bon, si obligeant, si humain ? En vérité, si je n’étais pas moi-même une preuve vivante de cette bienfaisance que vous concevez si belle et si large…

— Pour mon plaisir, reprit vivement le comte. Je paie une sensation comme je paierais demain d’un monceau d’or la plus puérile des illusions qui me remuait le cœur. Je secours mes semblables pour moi, par la même raison que je vais au jeu ; aussi ne compté-je sur la reconnaissance de personne. Vous-même, je vous verrais mourir sans sourciller, et je vous demande le même sentiment pour moi. Ah ! jeune homme, les événements de la vie ont passé sur mon cœur comme les laves du Vésuve sur Herculanum : la ville existe, morte.

— Ceux qui ont amené à ce point d’insensibilité une âme aussi chaleureuse et aussi vivante que l’était la vôtre, sont bien coupables.

— N’ajoutez pas un mot, reprit le comte avec un sentiment d’horreur.

— Vous avez une maladie que vous devriez me permettre de guérir, dit Bianchon d’un son de voix plein d’émotion.

— Mais connaissez-vous donc un remède à la mort ? s’écria le comte impatienté.

— Hé bien, monsieur le comte, je gage ranimer ce cœur que vous croyez si froid.

— Valez-vous Talma ? demanda ironiquement le président.