Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/331

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lonel, et obligé de soutenir la réputation militaire dans les garnisons ! fi ! Mais réfléchis donc à tout ce que tu peux perdre.

— Je ne perdrai pas, du moins, ma liberté, répliqua Martial en riant forcément.

Il jeta un regard passionné à madame de Vaudremont qui n’y répondit que par un sourire plein d’inquiétude, car elle avait vu le colonel examinant la bague du maître des requêtes.

— Écoute, Martial, reprit le colonel, si tu voltiges autour de ma jeune inconnue, j’entreprendrai la conquête de madame de Vaudremont.

— Permis à vous, cher cuirassier, mais vous n’obtiendrez pas cela, dit le jeune maître des requêtes en mettant l’ongle poli de son pouce sous une de ses dents supérieures de laquelle il tira un petit bruit goguenard.

— Songe que je suis garçon, reprit le colonel, que mon épée est toute ma fortune, et que me défier ainsi, c’est asseoir Tantale devant un festin qu’il dévorera.

— Prrr !

Cette railleuse accumulation de consonnes servit de réponse à la provocation du général, que son ami toisa plaisamment avant de le quitter. La mode de ce temps obligeait un homme à porter au bal une culotte de casimir blanc et des bas de soie. Ce joli costume mettait en relief la perfection des formes de Montcornet, alors âgé de trente-cinq ans et qui attirait le regard par cette haute taille exigée pour les cuirassiers de la garde impériale dont le bel uniforme rehaussait encore sa prestance, encore jeune malgré l’embonpoint qu’il devait à l’équitation. Ses moustaches noires ajoutaient à l’expression franche d’un visage vraiment militaire dont le front était large et découvert, le nez aquilin et la bouche vermeille. Les manières de Montcornet, empreintes d’une certaine noblesse due à l’habitude du commandement, pouvaient plaire à une femme qui aurait eu le bon esprit de ne pas vouloir faire un esclave de son mari. Le colonel sourit en regardant le maître des requêtes, l’un de ses meilleurs amis de collége, et dont la petite taille svelte l’obligea, pour répondre à sa moquerie, de porter un peu bas son coup d’œil amical.

Le baron Martial de la Roche-Hugon était un jeune Provençal que Napoléon protégeait et qui semblait promis à quelque fastueuse ambassade, il avait séduit l’empereur par une complaisance ita-