Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/346

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souffrir tout à l’heure mille morts, j’ai eu la pensée de vous donner quelques avis charitables. Commettre des fautes à vingt-deux ans, n’est-ce pas gâter son avenir, n’est-ce pas déchirer la robe qu’on doit mettre ? Ma chère, nous n’apprenons que bien tard à nous en servir sans la chiffonner. Continuez, mon cœur, à vous procurer des ennemis adroits et des amis sans esprit de conduite, vous verrez quelle jolie petite vie vous mènerez un jour.

— Ah ! madame, une femme a bien de la peine à être heureuse, n’est-ce pas ? s’écria naïvement la comtesse.

— Ma petite, il faut savoir choisir, à votre âge, entre les plaisirs et le bonheur. Vous voulez épouser Martial, qui n’est ni assez sot pour faire un bon mari, ni assez passionné pour être un amant. Il a des dettes, ma chère, il est homme à dévorer votre fortune ; mais ce ne serait rien s’il vous donnait le bonheur. Ne voyez-vous combien il est vieux ? Cet homme doit avoir été souvent malade, il jouit de son reste. Dans trois ans, ce sera un homme fini. L’ambitieux commencera, peut-être réussira-t-il. Je ne le crois pas. Qu’est-il ? un intrigant qui peut posséder à merveille l’esprit des affaires et babiller agréablement ; mais il est trop avantageux pour avoir un vrai mérite, il n’ira pas loin. D’ailleurs, regardez-le ! Ne lit-on pas sur son front que, dans ce moment-ci, ce n’est pas une jeune et jolie femme qu’il voit en vous, mais les deux millions que vous possédez ? Il ne vous aime pas, ma chère, il vous calcule comme s’il s’agissait d’une affaire. Si vous voulez vous marier, prenez un homme plus âgé, qui ait de la considération, et qui soit à la moitié de son chemin. Une veuve ne doit pas faire de son mariage une affaire d’amourette. Une souris s’attrape-t-elle deux fois au même piége ? Maintenant, un nouveau contrat doit être une spéculation pour vous, et il faut, en vous remariant, avoir au moins l’espoir de vous entendre nommer un jour madame la maréchale.

En ce moment, les yeux des deux femmes se fixèrent naturellement sur la belle figure du colonel Montcornet.

— Si vous voulez jouer le rôle difficile d’une coquette et ne pas vous marier, reprit la duchesse avec bonhomie, ah ! ma pauvre petite, vous saurez mieux que toute autre amonceler les nuages d’une tempête et la dissiper. Mais, je vous en conjure, ne vous faites jamais un plaisir de troubler la paix des ménages, de détruire l’union des familles et le bonheur des femmes qui sont heureuses. Je l’ai joué, ma chère, ce rôle dangereux. Hé, mon Dieu, pour un triomphe d’amour-