Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/348

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éclairé du salon, la figure pâle et contractée de Soulanges appuyé sur la causeuse : l’affaissement de ses membres et l’immobilité de son front accusaient toute sa douleur, les joueurs allaient et venaient devant lui, sans y faire plus d’attention que s’il eût été mort. Le tableau que présentaient la femme en larmes et le mari morne et sombre, séparés l’un de l’autre au milieu de cette fête, comme les deux moitiés d’un arbre frappé par la foudre, eut peut-être quelque chose de prophétique pour la comtesse. Elle craignit d’y voir une image des vengeances que lui gardait l’avenir. Son cœur n’était pas encore assez flétri pour que la sensibilité et l’indulgence en fussent entièrement bannies, elle pressa la main de la duchesse en la remerciant par un de ces sourires qui ont une certaine grâce enfantine.

— Mon cher enfant, lui dit la vieille femme à l’oreille, songez désormais que nous savons aussi bien repousser les hommages des hommes que nous les attirer.

— Elle est à vous, si vous n’êtes pas un niais.

Ces dernières paroles furent soufflées par madame de Grandlieu à l’oreille du colonel Montcornet pendant que la belle comtesse se livrait à la compassion que lui inspirait l’aspect de Soulanges, car elle l’aimait encore assez sincèrement pour vouloir le rendre au bonheur, et se promettait intérieurement d’employer l’irrésistible pouvoir qu’exerçaient encore ses séductions sur lui pour le renvoyer à sa femme.

— Oh ! comme je vais le prêcher, dit-elle à madame de Grandlieu.

N’en faites rien, ma chère ! s’écria la duchesse en regagnant sa bergère, choisissez-vous un bon mari et fermez votre porte à mon neveu. Ne lui offrez même pas votre amitié. Croyez-moi, mon enfant, une femme ne reçoit pas d’une autre femme le cœur de son mari, elle est cent fois plus heureuse de croire qu’elle l’a reconquis elle-même. En amenant ici ma nièce, je crois lui avoir donné un excellent moyen de regagner l’affection de son mari. Je ne vous demande, pour toute coopération, que d’agacer le général.

Et, quand elle lui montra l’ami du maître des requêtes, la comtesse sourit.

— Eh bien, madame, savez-vous enfin le nom de cette inconnue ? demanda le baron d’un air piqué à la comtesse quand elle se trouva seule.