Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/373

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j’étais garçon. Parfois, il a fallu les douces violences de l’amitié pour l’emmener au spectacle quand j’y allais seul, ou dans les dîners que je donnais au cabaret à de joyeuses compagnies. Il n’aime pas la vie des salons.

— Qu’aime-t-il donc ? demanda Clémentine.

— Il aime la Pologne, il la pleure. Ses seules dissipations ont été les secours envoyés plus en mon nom qu’au sien à quelques-uns de nos pauvres exilés.

— Tiens, mais je vais l’aimer, ce brave garçon, dit la comtesse, il me paraît simple comme ce qui est vraiment grand.

— Toutes les belles choses que tu as trouvées ici, reprit Adam qui trahissait la plus noble des sécurités en vantant son ami, Paz les a dénichées, il les a eues aux ventes ou dans les occasions. Oh ! il est plus marchand que les marchands. Quand tu le verras se frottant les mains dans la cour, dis-toi qu’il a troqué un bon cheval contre un meilleur. Il vit par moi, son bonheur est de me voir élégant, dans un équipage resplendissant. Les devoirs qu’il s’impose à lui-même, il les accomplit sans bruit, sans emphase. Un soir, j’ai perdu vingt mille francs au whist. Que dira Paz ? me suis-je écrié en revenant. Paz me les a remis, non sans lâcher un soupir ; mais il ne m’a pas seulement blâmé par un regard. Ce soupir m’a plus retenu que les remontrances des oncles, des femmes ou des mères en pareil cas. — Tu les regrettes ? lui ai-je dit. — Oh ! ni pour toi ni pour moi ; non, j’ai seulement pensé que vingt pauvres Paz vivraient de cela pendant une année. Tu comprends que les Pazzi valent les Laginski. Aussi n’ai-je jamais voulu voir un inférieur dans mon cher Paz. J’ai tâché d’être aussi grand dans mon genre qu’il l’est dans le sien. Je ne suis jamais sorti de chez moi, ni rentré, sans aller chez Paz comme j’irais chez mon père. Ma fortune est la sienne. Enfin Thaddée est certain que je me précipiterais aujourd’hui dans un danger pour l’en tirer, comme je l’ai fait deux fois.

— Ce n’est pas peu dire, mon ami, dit la comtesse. Le dévouement est un éclair. On se dévoue à la guerre et l’on ne se dévoue plus à Paris.

— Eh bien ! reprit Adam, pour Paz, je suis toujours à la guerre. Nos deux caractères ont conservé leurs aspérités et leurs défauts, mais la mutuelle connaissance de nos âmes a resserré les liens déjà si étroits de notre amitié. On peut sauver la vie à un homme et le tuer après, si nous trouvons en lui un mauvais compagnon ;